Le Merle

Il s’envola une première fois vers la liberté
Enfermé dès sa naissance en sa cage-cité
Etait-il heureux en cette prison barbelée et étroite
Petite étendue où il sautillait de gauche à droite,
Que faisait-il de ses ailes en cet univers si limité
Etait-il conscient de cette existence peu agitée
Comment pouvait-il envier un méconnu espace
Peut-on aimer ce qu’on ignore si c’est bonheur ou menace
Oui, il chantait, et sa voix enivrante, enchanteresse
Chaque matin emplissait le foyer d’humeur et d’allégresse
Il ne gazouillait pas. Il débitait des phrases mélodieuses
Il s’adressait à la lumière, à l’existence radieuse
De quel conservatoire, de quelle discipline et quelle université
Avait-il appris, et sans instrument toute la virtuosité
Il était devenu un membre de notre famille et sa présence
Nous captivait, c’est lui qui était libre en permanence
Et nous les vrais prisonniers, de nos caprices, de nos exigences
Passionnés de notre locataire, et aigris par notre insolence
Il a passé trois mois en notre compagnie
Choyé, caressé, gâté, il devint obsession et manie
Dans une bassine il prenait son bain matinal
Il sélectionnait ses plats, de préférence frugal
Figue, banane, laitue et du bon raisin
Qu’il picotait dans la main de Wil tous les matins
Dès qu’on lui sifflait il répondait longuement
Nous racontant qu’il connaissait nos voix et nos comportements
Et mon fils, tout au long des journées de me dire :
Il faut le libérer ce merle ; allons ! Laissons le partir !
Je craignais qu’il ne tombe sous le feu des nombreux chasseurs
Ou dans les griffes agressives des chats, seul, sans protecteur
Comment en ce début de l’hiver assurer sa nourriture
Pauvre merle, il ne connait aucun secret de la nature
Le domestiquer n’est pas besogne facile plutôt périlleuse
Il ira trouver des copines qui de lui seront amoureuses
On le soignait, oui, mais dans la nature c’est la Providence
Qui le protègera et l’espace est à lui, et les lumières immenses
Il comprendra qu’il faut chanter pour son Créateur
Et non pour les êtres humains, égoïstes et accapareurs.
Il est sorti de sa cage, ne sachant comment voler,
Se posant au bord du balcon, ou sur un fil isolé
Puis se dirigeant vers l’arbre le plus près
C’était la découverte d’un nouveau monde bien paré
Les branches, les feuilles, l’oranger, l’olivier
C’est l’automne, il attendra le printemps pour voir les amandiers
Le merle, un des rares oiseaux qui de leur nid
Ne seront jamais chassés par leurs parents, mais bénis…
Il avait appris que tout l’espace était insuffisant
Pour planer, être libre, aérien et séduisant
Il refusa de s’éloigner de Will, de la maison,
Mais d’autres merles lui ont tenu compagnie dans l’évasion
Il suffisait que Will, du balcon lui siffle un appel
Il s’approchait prouvant qu’il n’était pas rebelle
Il chantait à pleine voix des prières, de saints cantiques
Porteur de messages sonores, sublimes, et poétiques
Nous avons aimé cette petite et merveilleuse créature
Ce merle avait conquis nos cœurs et animé notre nature
A longueur de journée, en se déplaçant, en s’éveillant
On l’appelait, et lui, il répondait, heureux, choyé, gai, brillant
Liberté, don des dieux, liberté passion assoiffée des générations
Liberté, ma muse, mon amour, mon obsession
Merle de Will ton court et si éphémère passage
Aura séduit nos âmes et illuminé nos visages
Affronte les dangers, va, vole vers les étoiles
Y mourir en héros ou vivre emprisonné dans quelques voiles
Va inscrire avec tes ailes dans la gloire des trilles et des tourbillons
Et par ta voix redonner les longues mélodies des violons

Joseph Matar
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