Le quadrupède équidé

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De la Mésopotamie, à l’Egypte où il fut domestiqué, sacré par certains, méprisé par d’autres, on en a fait un personnage de Contes, de légendes, de fables etc…

Il nous livre ses secrets : ‘secrets d’âne’, ses qualités, ses défauts, lui qui accompagne l’homme depuis des millénaires.
C’est en Egypte, dit-on au cinquième millénaire B.C. où il fut domestiqué.

Quadrupède débordant de gentillesse, courage, dévouement, sagesse, douceur, humilité, simplicité, monture du riche et du pauvre; des gens le salissent : grandes oreilles, oreilles d’ânes, sot, paresseux, ignorant, bête etc…

Depuis Homère, la Bible, la mythologie, les anciennes écritures, les fables… depuis l’antiquité à nos jours il a eu toujours sa place.

Les Vestales, à Rome, célébraient chaque année le 8 juin des fêtes où l’âne était chargé de fleurs. On conte qu’Apollon, le fils de Jupiter et prince des Beaux-Arts furieux contre le roi Midas lui fit des oreilles d’âne.

Et la Fontaine dans sa fable des animaux malades de la peste, montre tous les puissants s’acharner sur le pauvre âne pour s’épargner eux-mêmes d’avoir à souffrir.

Il est nommé plus de vingt fois au temps des Patriarches. Animal essentiel à la tente, compagnon indispensable de grande utilité.

Tous les Patriarches ont eu leur âne pour partir.
Abigahil sellant le sien pour venir voir David (Samuel, 25).
Zorobabel revient d’exil en sa Jérusalem humblement sur son âne (Zacharie 9/9).
C’est en quête d’ânesses perdues que Saul fut fait roi par Samuel…
Samson, voyant venir vers lui 3000 Philistins, ramassa une mâchoire d’âne encore fraîche et leur en tua 1000 avec (Juges 15/9,15).

On a tous admiré l’aquarelle du peintre Flameng montrant l’âne portant vivres et munitions aux soldats sur le front.

Michelet le grand historien lui consacre tout un chapitre :

« Tout à côté, non moins vivace, plus sournois, durera (et dans l’Antiquité, et dans le Moyen Age) l’autre démon, le rusé Bel-Phégor de Syrie, aux longues oreilles, l’âne du vin, de la lascivité, indomptablement priapique.
Chaque année, ce dieu en tonneaux partait de l’Arménie, chargé sur des barques de cuir cerclées de planches où l’on mettait un âne. Il descendait l’Euphrate. La Chaldée qui n’avait que son mauvais vin de palmier, buvait dévotement ce nectar d’Arménie. Les planches étaient vendues. L’âne prenait le cuir, le remontait en haut pays. Cet aimable animal, l’orgueil de l’Orient, qui chaque année sans fatigue, en triomphe, comme un roi mage, entrait à Babylone avec la joyeuse vendange, était fêté et honoré. On lui donnait le titre de Seigneur, Bel, Baal. On l’appelait avec respect Bel-Péor (Seigneur Âne).
Respect bien plus grand en Syrie où sa gaieté lascive et ses dons amoureux, sa supériorité sur l’homme, émerveillaient la Syrienne, dit le prophète. Prophète il fut lui-même, parla sous Balaam. On appelle encore l’Âne la montagne où il a parlé. Au fond, il est démon, le Bel-Phégor, démon impur et doux, qui sert tous et à tout, se fait monter, brider.
C’est sur la montagne de l’Âne que les anges eux-mêmes, atteints de Belphégor, eurent désir des filles des hommes. Au désert même on fit déjà la fête de l’Âne. Il évita l’Egypte, où sans pitié on lui rompait le cou. Il marcha vers le nord, vers l’ouest, magistralement, prêchant la culture de la vigne, le vin, ce petit frère d’Amour.
L’âne eût tout envahi, eût été Priape et Bacchus. Sa forte personnalité, toute comique, ne le permit pas. »

Je l’ai, moi, découvert par hasard ; pourtant on s’était rencontrés bien souvent.
C’est en lisant ses mémoires, ses aventures, ses pensées, faits, analyses…
Un vrai érudit qui attira mon attention jusqu’à faire de lui un sujet de certaines de mes œuvres de peintre, et même composer quelques poèmes en son honneur.
Au fond, peut être, est-ce un miroir dans lequel on se retrouve souvent.

Au Liban, jadis, chaque foyer avait son âne, on se croisait dans les ruelles, les champs, partout.
Il connaît parfaitement tous les chemins, il mémorise comme un ordinateur, retourne tout seul à son étable et sa mangeoire donnant signe de sa présence pour que l’on vienne le décharger.
Il est là pour les travaux des champs, le labour, la vendange, la moisson, le transport, le moulin, la fontaine etc… et bien endimanché il est une monture pour les trajets.
Solide et courageux il se maintient en parfait équilibre, ne glisse pas.

Au Liban une région entière porte son nom – région de l’ânesse ‘al-débeh’ pourtant c’est la région qui a vu naître l’alphabet.
Pour le cadastre et le tracé des sentiers, des routes, il est maître, un pionnier ; il avance et on trace derrière ses pas le futur sentier ; raccourci etc…
Guide de troupeaux et des caravanes, il est en tête, responsable.

Injustement on l’accuse de paresse, que de contes et poèmes ont été réalisés sur lui. La Fontaine, Francis Jammes, Mme de Ségur, Juan Ramon Jiménez etc…
Platero et moi, mémoire d’un âne, Peau d’âne, Perrault.
Ne devrait-on pas créer une science : l’anologie en sa mémoire ?

Il n’est pas violent et n’aime pas la guerre, pourtant c’est lui qui transporte le matériel des troupes etc…

Au Liban il était indispensable à la vie de tous les jours…

Quand à ses aventures et histoires et ce qu’on raconte, chuchote, elles sont par milliers de quoi remplir une encyclopédie…

En voilà une locale : dans ma région, une richissime famille doit sa fortune à l’âne : et comment ?

Durant l’occupation Ottomane, au début du XXème siècle, l’armée Turque qui confisquait : citoyens, biens, bétails, etc… et voulant transporter les impôts (en pièces jaunes autrefois) de Beyrouth et le Mont Liban vers le port de Tripoli, confisqua tous les ânes et ânesses de la région, entre autre, une ânesse de Bentaël (la fille de El) ayant un petit ânon qu’elle allaitait… de retour, la nuit se dirigeant vers Tripoli et en passant par la région dans la vallée, l’ânesse, reconnut le chemin de son étable, et débordée de sentiment maternel, elle abandonna la caravane et se dirigea vers l’Est c’est-à-dire son village. Tôt le matin, le propriétaire l’aperçut et vit qu’elle était chargée de sacs d’or. Dans la plus grande discrétion il piocha le sol, enterra l’argent et plus loin il fit un plus grand trou où il jeta l’ânesse après l’avoir égorgée de crainte des autorités Ottomanes parties à la poursuivre…

Même dans le droit grec on raconte qu’un Athénien loua un âne pour porter son bagage à Mégare pendant une halte; il s’assit dans l’ombre de l’âne, l’ânier exigea un payement supplémentaire, alléguant qu’il avait loué l’âne, mais non pas l’ombre de l’âne.

Deux ânes se louaient de leurs dons ; le premier dit trouves-tu pas bien injuste et bien sot l’homme, qui profane notre nom traitant d’âne quiconque est ignorant, qui traite notre chant de braire, alors que celui-ci surpassant celui du rossignol et de Lambert dessins animés et historiettes … le sujet s’y prête bien…

Au Liban il fait parti du patrimoine. Dans notre Evangile, il a porté Marie enceinte de Nazareth à Bethléem, puis départ et retour en Egypte.

Il est entré glorieusement à Jérusalem portant le Fils de Dieu au jour des Rameaux. On étendit dessus manteaux et pèlerines et joncha sous ses pieds rameaux de bois de palmes et d’oliviers…

Le poète Charles Péguy, illustrant le verset du prophète Isaïe 1/3 où se voient l’âne et le beauf à la crèche de Bethléem, les fait se parler gravement devant la grandeur inimaginable de l’événement.

Sous le regard de l’âne et le regard du bœuf cet enfant reposait dans la pure lumière… ces deux gardes du corps et ces deux gros témoins pour le garder du froid soufflaient sur ses deux poings… l’âne ne savait pas par quel chemin de palmes un jour il porterait jusqu’en Jérusalem dans la foule à genoux l’Enfant de Bethléem !

Le poète Francis Jammes… l’a chanté maintes fois…

J’aime l’âne si doux qui passe sous les houx d’un petit pas cassé…

Où Alphonse Daudet dans ses ‘lettres de mon moulin’, raconte avec brio la vengeance terrible de l’ânesse du pape contre un vaurien d’Avignon.

Au Liban un décret officiel édité par le pouvoir exécutif No 525 du 3 juin 1936 le concerne. Ce décret lui reconnaît ses droits:

Chargement maximum de l’âne: 90 kilos
Du mulet: 125 kilos
Du cheval: 125 kilos
Du chameau: 225 kilos

Le nombre de personnes dans les voitures tirées par l’âne et dont les roues sont en pneus gonflables est limité à six.

Toutes les voitures doivent être en bon état pour ne pas causer des blessures à la bête. Le fouet est strictement interdit, sauf si le fouet est fabriqué avec du chanvre fin pour activer l’animal.

Les fouets en cuir ou tressés, ou métalliques sont interdits.

L’ânier qui conduit la voiture doit être à pied et à gauche. Il est interdit de faire souffrir l’animal. L’ânier est obligé de donner à manger et à boire dans une durée qui ne dépasse pas les 12 heures, sinon tout délit sera poursuivit en justice, et la contravention sera rédigée en deux exemplaires l’un pour le tribunal, l’autre pour les archives.

Les sanctions, paragraphe 2, 3, 5, 13 du décret 7 et 8 si la voiture n’a pas de freins 8 si le fouet est dur, 12 et 13 si on refuse le manger et le boire et si on maltraite l’animal.

Il est absolument interdit l’emploi de l’aiguillon.
Cela se passait bien avant la création de la S.P.A. dans le monde.
Maître Baudet, à lui tout honneur et respect.

Quadrupède aux services multiples et polyvalents il pose actuellement, excellent modèle, il a des attitudes presque religieuses, il médite, il est là sur la toile dans une nouvelle existence plastique, il n’est plus de chair de peau et d’os mais de chaleur, de couleur et de lumière, un poème qui se perd dans l’éternité.

Joseph Matar
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Yvan with his dreams – Yvan rêveur – 46 x 38 cm

The thinker – Penseur – 61 x 46 cm

Chaker at rest – Chaker au repos – 38 x 46 cm

Return from fields – Retour des près – 34 x 46 cm

Said Grazing – Said, broutant – 46 x 61 cm