Notre Dame du micocoulier “El Meysseh”

C’est le jeudi 17 avril, un ‘jeudi Saint’, le ‘Jeudi des mystères’, souvenir de ce Jeudi d’il y a plus de deux mille ans, le galiléen Jésus passa sa nuit la plus angoissante, la plus longue, la plus dure ; la souffrance était telle que Jésus suait du sang ; à ses côtés des disciples somnolaient ; Il était le seul éveillé demandant à son Père divin d’éloigner ce calice…

Un autre être était réveillé aussi et se dirigeait avec une troupe de gardes et malfaiteurs pour livrer son maître ; dans sa ceinture se trouvaient serrées les trente pièces d’argent ; trente pièces, le nombre des jours d’un mois lunaire, et en argent… la couleur symbolisant l’astre de la nuit, un astre qui n’est pas lumineux mais reflétant les lumières solaires.

A Amchit, non loin de Byblos se trouvent 27 églises dediées à plusieurs saintes et saints ; à Byblos le nombre en est plus grand ; chaque famille avait sa chapelle, plusieurs temples, édifices, oratoires, sanctuaires… furent transformés en Eglises après la libération par Constantin des cultes religieux.

A l’intérieur des murailles historiques de Byblos, la Phénicienne se trouvent sept églises, en plein centre historique, on y découvre la chapelle des Nakhlé ; un édifice très ancien de 15 mètres sur six et 6m de hauteur, dédiée à Notre Dame.

Les uns disent : c’est Notre Dame du ‘micocoulier’, d’autres : c’est Notre Dame de la Délivrance, pas de problèmes : c’est Notre Dame.

Au coin d’une route, le desservant, des arbres surtout des bigaradiers, un petit jardin, et un emplacement; on y descend quatre à cinq marches pour l’atteindre ; elle est entourée par d’anciennes bâtisses, antiques, aménagés en siège de l’UNESCO. On peut y parvenir des quatre côtés des points cardinaux à pied ou en voiture.

L’édifice est construit de pierres sablonneuses, les mêmes que celles de la citadelle, et par des restes d’éléments ramassés sur le chantier.

C’est en fait un caveau pour la famille Nakhlé. Elle fût restaurée jadis par la D.G.A., et elle est en très bon état; les religieuses voisines y assurent des prières et y enseignent le catéchisme; de temps à autre, je demandais à des amis prêtres de venir célébrer dans cette oratoire ; entre autres le nonce apostolique qui y célébra plus d’une messe, personne n’y venait que des membres de la famille ou des invités car ce n’est pas une salle paroissiale; on y a célébré un mariage, plusieurs baptêmes…

Au Liban, les Jeudis Saints, les croyants dans leurs traditions, visitent sept églises. Les uns disent le nombre sept un nombre mystagogique se référant à des mystères ; d’autres que la Sainte Vierge avait cherché son fils Jésus en sept endroits différents ! Coutumes accueillies en Occident; on y veille jusqu’à minuit avec Jésus, l’heure de son arrestation etc…

La mystagogie du nombre sept nous vient des Sumériens – leurs sages contemplant les sept astres du ciel autour de la terre (à qui ils consacrent un jour de la semaine : (soleil, Sunday, lune lundi, mars mardi, mercure mercredi, jupiter jeudi, vénus vendredi, saturne samedi…)

Ce sera Herschel en 1787 qui rompait le ‘charme’ en découvrant Uranus, puis Leverrier en 1857 Neptune… ces 7 astres sont dits les ‘yeux’ des dieux : Zakarie 3/9 et dans Tobie 15/7; l’apocalypse va jouer avec ce nombre 7 mais Saint Matthieu aussi 1/17, Saint Luc 3/33-38 (77 noms en 11 tranches)

Ce jeudi 17 avril 2014 j’ai décidé d’ouvrir les portes de ce lieu Saint aux Croyants, de 8h du matin jusqu’à minuit, jusqu’au départ du dernier pèlerin. Un prêtre est venu y déposer le saint sacrement. J’ai été présent presque toute la journée, mais surtout entre 16h et minuit. Les croyants sont venus de Byblos, de la région, des villages proches, de Jounieh, de Batroun de la capitale même Beyrouth. Ils y ont allumé des bougies.

La nuit du Jeudi Saint les gens ne dorment pas: ils veillent avec le Seigneur. Durant les premières heures de la journée, le va et vient était normal, de petits groupes venaient prier et méditer ; mais à partir de 16h de l’après-midi cela a été incroyable; j’étais dehors non loin de la porte à observer. C’était un flot humain, une vague humaine en continuité, une ruée.

Comme un essaim d’abeilles, la chapelle était débordée, la place, le jardin, l’escalier, les routes… et cela durant plus de 7h de suite.

Le curé du Antoche avait apporté à 5 heure ‘l’Hostie’, le saint Sacrement qu’il avait exposé sur l’autel. Cette hostie où réside le corps de Jésus, ce lien qui nous unit à la divinité.

Les croyants venaient, s’agenouillaient, allumaient des cierges, priaient avec émotion, plusieurs baisaient les pierres, la porte, le sol de l’édifice, les uns commentaient : ‘quelle belle chapelle, elle est merveilleuse, … dit-on des messes ici ?, pourquoi ne gardez-vous pas ce sanctuaire ouvert tous les jours ? A quel âge remonte-il ? A quel Saint ou Sainte est-il dédié ?’

Des groupes priaient et chantaient des cantiques à haute voix etc… les gens étaient heureux, leurs visages et expressions illuminés par la foi, par cette belle religion dont ils vivent et pratiquent.

Je ne sentais pas le temps s’écouler, ni la fatigue, je suis resté debout plus de huit heures à la suite ; j’étais heureux, ce bonheur unique qu’on ne peut atteindre que par l’amour de Jésus, par nos idées sublimes, grâce au Christianisme.

Que dire de ces pèlerinages en Europe ? Saint Jacques de Compostel ? Lourdes ? Cassia ? Assise » Chartres ? je pense au poète Charles Péguy s’imposant à pied le pèlerinage de plus de 82 km à Notre Dame de Chartres. “Nous avons en bon vent de partir tout le jour et de coucher le soir à deux pas de chez nous.

Assis sur une pierre auprès de la fenêtre je regardais ravi toutes ces braves gens venir ici à Byblos chez moi, en ce sanctuaire vénérer le bon Dieu… il ne me déplait pas d’avoir pensé à donner vie à ce petit sanctuaire en un jour aussi exceptionnel…

Je ne pouvais quitter le lieu, et le Seigneur était mon hôte, présent parmi nous.

A minuit le moine de Saint Jean est venu reprendre l’Hostie sacrée pour la replacer dans le tabernacle de l’église paroissiale.

Les gens ont continué de venir, grands, vieux, jeunes, enfants, …

J’ai chargé un responsable qui travaillait dans l’entretien du couvent des religieuses voisines de rester sur place et de fermer les portes quand la foule aura quitté l’église.

Un moine est arrivé, prier pour les morts et le repos des âmes ; il m’a dit que les défunts aussi sont unis dans leur éternité au Seigneur et que le Jeudi Saint est un jour exceptionnel que nous devons vivre et nous repentir de nos péchés.

Notre Dame du Micocoulier (Supplément 2016)

… Toujours assis au fond de l’église cet autre Jeudi Saint en l’an 2016… observant, écoutant, méditant, rêvant, répondant à un tas de questions… et emporté par la nostalgie, le vieux temps où vivaient nos aïeux.

Des vagues humaines continuent à déferler sur ce lieu sacré, cette ancienne église à l’architecture simple, humaine, aux pierres patinées par les souvenirs…

Des enfants devançant leurs parents entraient en courant tout heureux, désirant allumer des cierges, des femmes avançaient à genoux jusqu’à l’autel les chapelets à la main ou au cou, des vieux, des jeunes… toute cette présence communiait sincèrement, pieusement avec Notre Seigneur Jésus, le Créateur. Je ne m’attendais pas à voir tout cela.

Plusieurs vieilles, âgées me demandaient des éclaircissements: “cette église n’est-elle pas celle de Sainte Rafca? Ne venait-elle pas prier ici? Des informations héritées par leurs parents.

Oui c’est vrai Sainte Rafca à l’époque: Boutressieh, en 1860, passa deux années à enseigner ici chez les religieuses des Saints Cœurs qui sont à un pas de l’église, il suffit de passer la route.

En 1860 l’année où Ernest Renan était au Liban à Byblos en particulier, la jeune Boutersieh s’était engagée ici avant de partir ensuite à Maad, à enseigner le catéchisme, la géographie et l’arithmétique chez les religieuses voisines de l’église Notre Dame du micocoulier, une ruelle les séparait. Peut-on imaginer à l’époque et maintenant aussi un lieu plus calme, plus adéquat à la prière, la méditation? L’environnement n’a pas trop changé…

Je suis allé le lendemain à l’Antoche où réside le père Saadé qui a écrit des milliers de pages traduites en plusieurs langues sur la vie de Sainte Rafca; il m’affirme la même vérité. J’étais ému en apprenant que d’anciennes relations nous liaient à Sainte Rafca qui fut l’hôte de cette chapelle de famille.

Emu, touché et heureux, fier aussi de venir prier à l’endroit même où Sainte Rafca s’agenouillait demandant à Jésus de l’aider dans ses souffrances, quelques dizaines d’années plus tard, elle reviendra à Byblos soigner ses yeux et subir le plus cruel des martyrs; le médecin soignant lui arracha l’œil à vif! … quelle souffrance!

Elle supporta cela pour participer à la souffrance du Christ son Maître. Une œuvre d’art “Rafca en prière” au couvent où elle passa ses dernières années reproduit l’événement.

Joseph Matar
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