Séjour et études à Madrid

C’était il y a cinquante ans, j’avais dû me rendre à Madrid… L’horaire était des plus chargés… les activités débutaient dès trois heures du matin, pour s’achever vers les 11heures – minuit ; et quelquefois, la nuit était blanche.

Jusqu’à ce jour, ce rythme ne m’a plus quitté : je dors très peu. J’écrivais, je lisais, je dessinais, je reprenais les travaux de l’Ecole, dessins, études et peintures…

Dès 9h le matin, je me dirigeais vers San Fernando qui était tout proche, à peine une station de métro.

Les trois premières heures, c’étaient des études, peinture à l’huile sur toiles ; l’acrylique était à ses débuts ou n’existait pas encore. De midi à 14h c’était l’anatomie ou la perspective, modelage sculpture ou taille sur bois ; des cours théoriques esthétiques, histoire de l’art, de la peinture, des religions (nous étions dans un pays catholique), des civilisations etc… Puis, une à deux heures du temps libre pour des courses, déjeuner, ou pour des études de fresques ou de restauration ; ou bien on passait à la bibliothèque, ou on visitait le musée de l’Ecole. Pour reprendre vers 3 heures – 4h études du fusain d’après l’antique, ou le modèle vivant… études de compositions, dessins de mouvement etc… pour terminer la journée vers les sept heures.

A cette heure-là, je me dirigeais, mon cartable sous le bras, vers le ‘Circulo de Bellas Artes’ cercle des Beaux Arts, à une minute de l’Ecole. C’est une réplique modeste de la grande Chaumière à Paris. Les séances duraient jusqu’à 10h. La première heure était pour des études de 30 minutes, la seconde était pour des études de 15 minutes et la troisième heure c’était des croquis de cinq minutes… je rentrais chez moi à pied. Je revoyais alors les activités de la journée, et le courrier quand cela s’y prêtait… Samedi, dimanches et jours fériés j’allais au musée du Prado, un carnet de croquis à la main, étudiant, commentant les chefs d’œuvres, leurs compositions, structures, techniques etc… on dit que le Prado dans la peinture est l’un des musées les plus riches, équivalent au Louvre et à l’Hermitage. C’était un programme austère ; pas de repos, ni de loisir, quelques dimanches, parfois, j’écoutais des concerts interprétés par des philharmoniques du monde entier et dirigés par de brillants chefs d’orchestre, … ou j’errais dans les quartiers typiques de Madrid, prenant ‘una copa’ d’un bistro à l’autre, c’est dire que la nuit était blanche.

Je me suis familiarisé avec les Madrilènes dès mon arrivée, changeant deux ou trois fois de résidence pour échouer finalement à Alcalà au septième étage, avec une très grande terrasse qui me servait d’atelier ; là, je préparais mes toiles, et quand il faisait beau, je travaillais…

Je n’ai jamais connu l’ennui, ni l’oisiveté. Tout allait bien, je me sentais comme ces séminaristes dont la vie est robotisée et évolue à coup de clochette : heures des prières, lever, coucher, messe, repas, études etc…

Je m’étais habitué à ce rythme sans entendre des sonnettes ni être cloîtré.

J’étais très sportif, très résistant, d’une excellente santé, grâce à Dieu.

La première fois où j’ai été alité, ce fut à l’âge de 77ans. En août 2010 pour une chirurgie cardiaque. Je n’ai jamais connu les médicaments. Le bon vin, l’arak ou le whisky étaient un énergisant. Je n’ai jamais été ivre, ni n’ai jamais perdu conscience. Je suis resté toujours ivre de Dieu, de beauté, d’idéalisme, des valeurs, d’humanisme et d’amour.

Je venais de sortir indemne de deux aventures sentimentales que j’avais vécues simultanément au Liban. Madrid était un Eden de retraite ; le logique dominait la sentimentalité. Ma formation était en jeu ; il n’y avait point de temps à perdre. J’ai entrepris de lire sur Raphaël, Ingres, Rembrandt, des livres que j’achetais entre autres chez des bouquinistes à ‘Atocha’, une ruelle de Kiosques qui rappelle ceux de la Seine. J’ai été frappé par le mot du grand génie Raphaël : ‘Comprendre c’est égaler’. Je devais comprendre et assimiler, comprendre cette nourriture intellectuelle qui se dégage de l’âme des choses, des secrets et structures des éléments, de l’existence…

Je m’arrêtais devant ce grand artiste et technicien Vélasquez : comment, avec le minimum de moyens et de matière ; il réalisait le maximum d’expression, de créativité poétique ; ou cet autre génie unique qui est Francisco Goya, père du Romantisme et de toute la peinture moderne : ses compositions historiques et nationales, sa peinture noire, ses tapisseries, ce jeu des teintes et des complémentaires…

Quant à la famille royale et leurs majestés, elles ont été peintes par tous les artistes espagnols. Quelques uns d’entre eux étaient officiellement peintres du roi, attachés à la cour royale et avaient leur atelier dans le palais. Le roi possédait toutes les clefs des portes de son palais et pouvait entrer à volonté, à n’importe quelle heure visiter ses favoris.

Au Prado, je m’arrêtais souvent devant les chefs d’œuvres, j’admirais ainsi Ribera ce peintre ombrageux et mystique. Raphaël, Zurbaran ou Murillo, Ribalta, Herrera… ou ce religieux et mystique grec qu’était le Greco de Toledo. Les chefs d’œuvres de Durer, du Titien, de Bosch, de Brughel, de Rubens etc… La liste est infinie. La Maja habillée ou nue de Goya, las menines de Velasquez qui faisaient l’admiration de tous les visiteurs, comme la Joconde au Louvre.

Je visitais aussi le musée, d’Art Contemporain ; je faisais mes tournées dans les galeries, les expositions et je suivais toutes l’activité artistique de Madrid. J’assistais aussi à des pièces de théâtre.

Dès mon arrivée à Madrid, j’avais lu une grande affiche: ‘La Barca sin pescador’, la barque sans pêcheur de Alexandro Cassona. J’ai assisté à cette pièce ; la salle affichait ‘Completa’, on m’a dit qu’il y avait des pièces qui se jouaient depuis plus de dix ans, sans relâche, jusqu’à changer quelques fois les acteurs. J’ai compris là à quel point les Espagnols aimaient le théâtre.

Ces mêmes Espagnols, une grande Nation, ont découvert et peuplé l’Amérique ; ils ont gouverné un temps toute l’Europe et la planète.

Ils sont indignés si on leur dit que l’Europe se termine aux Pyrénées. C’est faux. Ils ont eu, c’est vrai, des moments de décadence sur certains plans, et des guerres civiles, leur isolement dans la péninsule Ibérique, a retrouvé l’accès à des technologies modernes etc…

Pourtant, le Baroque a vu le jour en Espagne, leurs artistes et intellectuels ont œuvré sans relâche ; n’ont-ils pas donné Cervantès, Lope de Véga etc…

J’avais de bonnes relations avec tous les étudiants et professeurs. Ils savaient que j’étais Libanais, le pays des cèdres, de l’autre côté de la Méditerranée, berceau de l’alphabet et de toute la civilisation, terre de saints, domaine céleste, perle de tout l’Orient et que toute la péninsule Ibérique était un de leurs comptoirs.

Ils aimaient le Liban, ils m’estimaient ; j’ai été toujours communicatif, sociable ; je participais à toutes les activités extra universitaires : Fiesta, bals, cérémonies, soirées, veillées de Noël, de nouvel an, etc…

Avec les Madrilènes, une amitié pure et fraternelle était constamment liée. J’ai été invité dans plusieurs maisons ; j’ai connu plusieurs parents et familles. Je passais souvent dans les différents ateliers, surtout dans les ateliers du diplôme, c’est-à-dire la cinquième année, et les ateliers de sculptures. Je n’ai jamais eu la moindre mésentente avec qui que soit. Je me procurais de l’ambassade où se trouvaient l’ambassadeur et deux fonctionnaires dont l’un était un ami, des dépliants, des imprimés, des textes sur le Liban que je distribuais aux étudiants ; ce qui les enchantait ; de telle sorte qu’un directeur de département des arts décoratifs organisa un voyage au Liban, Syrie, Iraq, Egypte avec les élèves de terminale de sa section, et il m’avoua : « tu as créé en nous l’envie de voir le pays des cèdres mentionnés et chantés même dans les Ecritures Saintes ».

Les Margarita, les Maria del Sol, Teresa Maria, Con Chita etc… mes amies espagnoles étaient nombreuses ; j’ai toujours lié avec elles un amour, d’amitié, de sympathie, de compréhension etc…
Le parc ‘El Retiro’ est le plus grand dans le centre de Madrid ; il est fonctionnel et très pittoresque, d’arbres géants, des roseraies, des ruelles, des bassins d’eau, des places pour des concerts ou théâtre, des bancs, etc…

De temps à autre, je venais passer une ou deux heures à dessiner, peindre ou croquer des passants.

J’ai rencontrai un jour un petit ‘Alberto’ accompagné par ses deux frères et leur servante ; il était d’une beauté angélique ; rarement j’ai vu beauté pareille ; je lui ai demandé de poser pour une étude de sa figure, son expression, de sa grande beauté. Deux ou trois semaines plus tard, j’ai rencontré trois enfants avec leur servante toujours ; Alberto s’approcha et me dit: ‘maman t’invite à venir prendre un nescafé chez nous ; voilà, c’est notre no de téléphone’, ils n’habitaient pas loin de ma maison ; quelques cinq cents mètres.

J’arrive chez eux un soir, Conchita me reçoit, me montrant toute sa beauté et son charme. Quand je l’ai vue, j’ai été saisi: « je te connais ; je t’ai vue quelque part… oui, c’est vrai, tu m’as vue dans les photos affichées partout ; j’ai été ‘miss sourire’ de l’Espagne… Elle avait un très beau sourire, le plus beau sourire que je ne peux décrire, des lèvres que le Créateur a ciselées pour l’élection de Miss Paradis. « C’est vrai, je me souviens maintenant… »

« Je suis pharmacienne, mes frères sont des industriels ; je vivais aux Etats unis d’Amérique ; j’ai abandonné mon mari ; j’ai repris pratique de mon métier de pharmacienne à Madrid… je veux te commander un portrait… »

Je suis ainsi devenu un grand ami de cette famille … Conchita, Albert, Jean et Louis,… une amitié qui dura deux ans et une longue correspondance après mon retour au Liban. Je passais souvent chez eux, un samedi ou un dimanche ; je pratiquais l’espagnol, je sentais comme si ces petits avaient été pour moi des neveux… Il y a dans les périphéries de Madrid : ‘la casa del campo’, des forêts très étendues, où les étudiants venaient peindre. Dans toutes les villes d’Espagne, il y a aussi une grande place ; à Madrid, c’est la Plaza Major, lieu de rencontre de toutes les classes, artistes, peintres, artisans, commerçants, restaurateurs etc… et où, même, on a donné l’Opéra Carmen de Bizet.

J’ai flâné ainsi dans toutes les rues antiques de Madrid. J’ai peint plusieurs coins typiques. J’ai toujours réalisé des natures mortes, simples, dans ma chambre. Omar me disait : ‘si un artiste désire voir son évolution et ses capacités, il doit s’exercer et exécuter des natures mortes’. J’en garde quelques unes encore. J’étais acharné, passionné par mes travaux. L’étude des modèles et du corps humain surtout. J’étais inspiré en travaillant, car les muses n’aiment pas les oisifs, et les paresseux ; je sentais en moi s’accomplir mon évolution. J’étais heureux de voir orbiter autour de moi toutes les valeurs, ces sommités artistiques, humaines, poétiques. Je sentais que mes ‘moi’, évoluaient vers d’autres cieux et que la métamorphose était permanente.

Qu’est-ce que la formation ? Si ce n’est de naître petit et de grandir comme l’a montré Jésus, qui est né, Bébé, enfant, adolescent, homme mûr et Dieu. Et le Christianisme continue et continuera toujours. Une telle évolution, ce n’est pas une religion qui est née, majeure, vieille et qui continue à l’être…

A l’école San Fernando, dans les cours théoriques et historiques, il y avait un cours d’histoire du Christianisme qui est parallèle à l’histoire de la civilisation…

La première année, les professeurs très compréhensifs me permirent d’utiliser le français comme langue ; mais j’ai rapidement maitrisé le castillan.

J’ai mentionné plus haut que ma vie était programmée pour profiter au maximum de ce long séjour à Madrid. Je me permettais de réaliser quelques sorties quand le temps le permettait. J’utilisais le moyen le plus pratique : les ‘tours’; l’autocar, avec un guide, nous faisait découvrir le lieu; je passais ainsi toute la journée bien organisée par les responsables.

Toledo, au sud de Madrid, et proche aussi, est traversée par le Tage, berceau de EL Greco et dominée par son ‘Alcazar’.

Ce moine religieux perdu dans la vieille Castille a été oublié durant deux ou trois siècles. A Toledo, nous déambulâmes à pied, chaque pierre, ruelle, monument racontait son histoire. L’A lcazar est au sommet d’une montagne où dans sa vallée coule le Tage, fleuve espagnol…

Que d’héroïsme, que de contes,… se sont déroulés en ce lieu !

Dans les souks, les ateliers typiques de martelage du cuivre, sa décoration, une technique ancestrale, un artisanat qui dans certaines œuvres atteint vraiment l’expression artistique. Au Liban, se voit aussi un petit artisanat très modeste, qui traite cette technique, Jezzine, Calamoun…

Une autre journée fut passée à l’Escorial et Vallé de las Caidos au nord-ouest de Madrid. L’Escorial construit sur des plans qui rappellent la grille sur laquelle on martyrisa Saint Laurent ! Un très grand monastère et une des plus grandes bibliothèques d’archives, de documents, de livres…

Entretenue, cataloguée etc… par un prêtre libanais ‘El Ghaziri’, originaire donc d’un village près de Jounieh ‘Ghazir’, et qui était un érudit parlant plusieurs langues….

Après la visite des œuvres d’art dans le monastère et l’église, nous nous dirigeâmes vers la vallée des tombés de guerre où une croix de 150 mètres de haut a été érigée après la guerre civile; une basilique s’y voit creusée au cœur de la montagne et les sculptures monumentales des quatre Evangélistes et une sculpture en bas-relief sur le fronton de l’immense crypte, plus grande que Saint Pierre de Rome et où une immense voûte en mosaïque soutient le toit ; les grandes sculptures réalisées par des artistes espagnols sont exposées à l’intérieur ; d’un chef d’œuvre à un autre ; le paysage sans fin, perdu dans la brume… des journées inoubliables ! Je suis allé au moins trois fois en ces lieux. Quand l’Archevêque de Tyr visita l’Espagne, on me demanda à l’Ambassade du Liban de l’accompagner dans sa visite ; nous étions à l’époque moins d’une vingtaine de Libanais; actuellement le nombre dépasse les milliers. La cathédrale de Madrid où officiait l’Evêque, je traduisis oralement la messe maronite…

Je passai une journée au Prado ; un diner typique dans une taverne à la Plaza Major et une tournée dans Madrid et ses alentours ; une visite qui dura trois à quatre jours.

Segovia, Alcala de Henaris, Aranjuex Gadalajara etc… et surtout Avila dominée par Sainte Thérèse la grande. L’Espagne est un pays de saints, de chevalerie, d’héroïsme etc…

A Salamanque, où je me dirigeai seul en train chez mes amis les séminaristes, des Apôtres, je passai une fin de semaine; une antique ville universitaire, non loin de la frontière du Portugal. Une ville riche en monuments du Moyen Age, de la Renaissance et des périodes Baroques… Là, je fus chaleureusement reçu par le Père recteur et mes amis séminaristes dont la majorité, si ce n’est pas tous, quittaient l’Ordre une fois leurs études achevés pour se marier en Espagne ou au Liban. Quand même, ils avaient reçu une excellente formation et participent toujours activement à la vie intellectuelle du Liban. A Valence, j’ai passé un mois ; une ville où beaucoup de vestiges arabes se découvrent, située sur la Méditerranée, face au Liban ; le soleil se lève là, derrière la mer. Quand j’y ai vu l’eau, j’ai pleuré ; une nostalgie éveilla en moi beaucoup d’émotions, de souvenirs de ma mère et des amis du Liban.

Dans la Cathédrale à Valencia, est exposée une coupe en albâtre qui, d’après les dires des Espagnols avait été utilisée le soir du jeudi de la Cène et dans laquelle le Christ aura bu. Ses lèvres divines ont effleuré les bords de la coupe où le vin symbolisait son sang. Je devais participer à des concours à l’Université en Septembre pour régulariser ma situation en tant qu’étudiant officiel à l’Ecole de Madrid : tout ce passa à merveille. A Valence, j’ai commencé à aimer les soupes aux poissons et les fruits de mer… On les apprête chez nous à la maison jusqu’à ce jour ; les recettes sont nombreuses dans les livres de cuisine.

Ma visite à Barcelone, je la retardai pour le jour du retour au Liban. Barcelone, capitale de ‘Catalunia’ ville industrielle très intégrée à l’Europe.

A Barcelone, l’ombre de Gaudi domine la ville. Depuis la Sacrada Familia, aux parcs,… Architecte, artiste, sculpteur audacieux, il a compris que l’architecture est ce qui reste une fois la pierre ôtée. Il s’inspira là du gothique, du baroque, de l’antique pour réaliser une œuvre singulière, originale poétique, nous transportant dans l’univers Gaudi.

La ‘Plaza’ Colon ou de Christophe Colomb, qui découvrit le Nouveau monde etc… ; la plus belle lune que j’ai vue dans ma vie fut à Barcelone ; dans le ciel, je voyais la pleine lune, lumineuse comme le soleil et, croyant que c’était le soleil, je ne me suis rendu compte qu’à l’heure actuelle que c’était une illusion.

Pourquoi Barcelone a-t-elle été gardée pour la fin ? C’est un port ; j’avais le billet d’avion ; mais le poids que j’avais, toiles, dessins, livres, curiosités, de grands colis… je ne pourrais les ramener par avion…
Retournons à Madrid avant de lever la voile pour naviguer vers l’Orient…

A Valence, à l’école ‘San Carlos’, j’avais rencontré une certaine Anna-Maria étudiante et qui était passionnée de graphologie. Elle me vit lui écrire en Arabe de droite à gauche : elle trouva cela très amusant. Elle devint ma compagne de route durant ce séjour à Valence ; j’avais trouvé là un foyer d’étudiants dirigé par une dame d’un certain âge : c’était une pension qui pouvait accueillir une quarantaine de gens de passage. Quelques étudiants y résidaient deux ou trois ans.

Cette dame, généreuse et compréhensive était une mère pour tous ces étudiants. J’étais là en pension complète. Tous les soirs, elle préparait sa soupe aux poissons et aux fruits de mer.

Elle me dit : « tu es autrement » ; elle aimait bavarder avec moi, me posant un tas de questions ; en peu de temps nous sommes devenus de très bons amis. Quand elle se mettait à table dans un spacieux réfectoire, elle se mettait près de moi. J’ai réalisé d’elle un dessin que je lui ai offert et une peinture que j’ai encore chez moi. Anna-Maria rêvait en permanence.

Je dis à l’aubergiste que je devais quitter Valence quelques jours avant mon programme, elle comprit que mon budget ne me permettait plus de rester et qu’il fallait rentrer à Madrid. Elle me pria de rester tout le temps que je souhaitais et que ‘plus tard, tu me règleras ; tu es comme mon fils ; considère que tu es dans ta maison’. Cela à été : j’ai retardé ma rentrée à Madrid de dix jours (de retour au Liban, à ceux qui me demandaient conseil pour voyager en Espagne, je leur disais d’aller à Valence ville universitaire et vous ne vous dépayserez pas). L’un d’eux a passé quatre ans dans cette pension et il m’avoua quelle brave dame elle était. De retour à Madrid, je réglai mes comptes de Valence.

Je suis revenu à Madrid en train après onze heures du soir. A Madrid, il y a le métier du ‘serreno’ : celui qui a les clefs des serrures ; car lesportes extérieures étaient fermées ; dans chaque quartier il y avait un serreno, je n’avais pas la clef de l’entrée ; j’ai claqué des mains et le ‘serreno’ a surgi devant moi, m’ouvrant la porte ; je lui donnai un pourboire, voyant que j’étais généreux, il m’aida jusqu’à ma chambre portant mes affaires pour revenir dans son poste quelques minutes après.

Avant les portails électroniques et les serrures codées actuelles, il y avait le ‘serreno’ qui rappelle un peu le Moyen âge du temps des Arabes. Le serreno classait sur sa ceinture des centaines de clefs qu’il reconnaissait et au moindre appel ou claquement des mains, il répondait à l’appel. Il faisait son métier, doublé de celui d’un gardien.

Je fus très heureux de me retrouver dans mon assiette ; j’envoyai quelques téléphones, surtout à un ami ex-séminariste de Salamanque, mélomane, honnête, homme de lettres, théologien, philosophe, amateur des arts et connaisseur, et qui était fiancé à une jolie Espagnole: Antonio, notre amitié persiste jusqu’à ce jour et nous nous rencontrons jusqu’à présent. Il me mettait souvent au courant de ce qui se déroulait au Liban : dans le temps ; il y avait eu un coup d’Etat échoué ; il m’informait des activités, des dernières nouvelles.

A l’époque, je devais répondre à un grand travail universitaire et des compte rendus théoriques et surtout pratiques, quelques 25 projets qui englobent les matières tout au long de 5 ans car au ministère de l’Education Nationale ils avaient légalisé mes années d’études et expériences et dossiers et activités antérieurs à mon inscription à l’université de Madrid et étant un candidat officiel je devais me plier aux lois en fonction.

Ce qu’avaient fait Picasso, Dali, etc… et tous les grands artistes espagnols quand ils étaient étudiants.

J’aurais pu renouveler ma bourse, ou assurer mon existence par mes propres moyens : (travailler dans des ateliers de modelage, de sculpture, peindre et exposer, bureaux de décoration, d’illustration, de graphisme etc…) Mais j’ai voulu rentrer au Liban et organiser ma vie de nouveau. De plus ma mère était seule. J’avais la nostalgie de mes amitiés, de mes anciennes activités, et je voulais réaliser un tas de projets que je planifiais.

A Madrid, je recevais des lettres de mes amis, et surtout des Onsi, Omar et Marie ; c’est Mme Marie qui écrivait ; elle signait au bas de la page : ‘Omar et Marie’, presque chaque semaine, elle me mettait au courant de la vie littéraire et artistique au Liban, des nouvelles des parents, amis, peintres etc… surtout les commentaires de Mme Marie une femme visionnaire, aimable, humaine, de grande culture (un paquet de lettres, une correspondance digne d’être un thème d’études)…

Je me préparai au retour. Je visitai le Prado presque quotidiennement, je préparai un dossier afin de pouvoir légaliser au Liban tous les documents se rapportant à mes études, concours, tests, examens, titres etc… Je contactai une compagnie de transports maritimes, qui se chargea de transporter mes affaires dans des caisses en bois, sur le Paquebot, via Barcelone, ce grand port de l’Espagne. Je comptais le temps à rebours, mais j’avais les larmes aux yeux et l’émotion en mon âme ; j’avais aimé Madrid et les madrilènes, Madrid m’a manqué toute la vie.

J’ai passé presque une semaine dans la capitale de Catalunia, ville de Gaudi. Les bateaux sur ces lignes naviguent surtout, le soir et la nuit, durant la journée ils s’arrêtent dans les différents ports pour charger et décharger leur marchandise. La première escale était Genova, ou nord de l’Italie ; tous les passagers descendirent visiter cette ville célèbre par ces cimetières. La seconde escale ce fut le sud de l a péninsule : Napoli, ville portuaire ou s’active la mafia. Une traversée de la Méditerranée pour rejoindre la côte africaine et l’escale à Port Saïd, là, ce fut mon premier contact avec les Egyptiens. Les milliers des vendeurs qui s’attaquent au navire. J’avais loué une calèche pour me promener calmement dans la ville. Nous quittâmes l’Egypte le soir, naviguant vers Beyrouth. On arriva le lendemain soir. C’est toujours le Sannine qui apparait le premier. Du navire j’ai pu voir ma mère et mon frère qui m’attendaient. J’étais le dernier passager à descendre à terre. Larmes et embrassades…

Le soir, j’étais à Jounieh, dans ma chambre et mon atelier et la vie a repris de plus belle.

Joseph Matar
Tous droits réservés pour tous pays
© Copyright LebanonArt