Couleurs Libanaises Tome 2, Joseph Sokhn – 1977
Joseph Mattar Peintre
Parmi les artistes libanais, contemporains que je connais, Joseph Mattar qui s’isole et s’éloigne des motifs d’horreurs et de mélancolie, est considèré à juste titre comme le peintre par excellence de la nature et du patrimoine libanais.
La discipline classique qu’il s’était librement imposée est le motif central de toute sa production.
Doté d’un tempérament romantique et visionnaire avec une certaine irascibilité, notre éminent artiste nous livre des toiles d’une grande beauté où le passé glorieux de notre pays s’étale harmonieusement devant nos yeux. Les rochers du Liban et la majesté de nos sites historiques laissent dans l’âme de Joseph Mattar une empreinte ineffaçable et c’est précisément grâce à son imagination humaniste et lyrique que le toiles fascinantes qu’il expose demeurent pour le spectateur une vraie source de joie et d’allégresse. Ses couleurs sont très gaies, du vert tendre, au bleu méditerranéen, au rouge chaud, toute la richesse picturale est figée dans ses créations et ses tableaux de valeur.
Dans sa maison qui est vrai musée, située près du Collège Central des Moines Libanais, ce qu’il peint sont des thèmes variés allant du paysages au figuratif et à la composition, mais combien unitaires semblent-ils dans leur style et couleurs, parce que ce sont des peintures typiquement libanaises ne touchant que le patrimoine libanais.
Le regretté Omar Ounsi qui fut l’initiateur et le maître de Joseph Mattar disait:
La force d’expression est maintenue par la généralisation de la forme et par le vrai, et la beauté, c’est l’équilibre entre la forme et la force, le physique et l’esprit, elle est un des attributs de la vérité.
Je pense donc qu’il faut se rendre compte que les œuvres de Mattar ne sont pas de simples illustrations, mais des compositions qui ont une existence physique et une signification également propre.
Joseph Mattar et l’École espagnole
Avide de culture artistique et de formation, Joseph Mattar souhaitait ardemment découvrir de nouveaux horizons et voir d’autres cieux. Son rêve le plus cher fut réalisé en 1961 lorsque le Ministère de l’Éducation Nationale lui accorda une bourse de quatre ans pour Madrid Académie des Beaux-Arts de San Fernando.
Il était évident que son séjour à Madrid fut marqué au début par un certain isolement de la part de la société espagnole qui ne semblait pas s’apercevoir de son existence. Mais Mattar ne tarda à se nourrir des contacts avec les grands courants modernes notamment avec ceux de Goya et de Ribera, et il témoigna après un an d’une parfaite habileté technique. Son dessin s’assouplit et essaya de mêler le réel à l’irréel et de créer de nouvelles toiles de toute beauté. Toutefois notons que les toiles de Joseph Mattar de 1975 dépassent loin le sillage trace par son pinceau d’antan.
En Espagne, Joseph Mattar a acquis un goût infaillible et une manière impeccable de présenter les tableaux, mais plus tard, son style et ses toiles eurent tendance à transporter le spectateur dans un monde de gaieté, d’enchantement et de poésie.
Le Libanisme de Joseph Mattar
Les méthodes et techniques de la publicité commerciale, étouffent presque le talent exceptionnel de nos artistes contemporains: c’est pourquoi le peintre est constamment invité à alimenter son intuition créatrice par des motifs nouveaux, originaux et authentiques. Parmi ces thèmes humaines et profondément pathétiques nous citons ceux adoptés par Joseph Mattar pour exprimer son lyrisme et son attachement à la nature du Liban.
Une vingtaine de ses toiles tracent merveilleusement bien l’histoire de notre pays, ainsi que le charme de la montagne libanaise, avec ses rochers nus, mordus par la pluie et écrasés de soleil, ses vieilles maisons d’antan et ses innombrables arcades. Il met en scène un jeu habile de production typiquement kesrouanaise et suscite des formes couleur argent et cendre. Ainsi il s’avère réaliste en même temps amplement figuratif.
Voici l’analyse d’une toile type intitulée: “Une maison et un tannour”
Une grande originalité caractérise cette toile. Dans un coloris très sobre, Joseph Mattar évoque le vieux style de montagne en illustrant l’époque des Maan et des Chéhab.
Les arbres nus qui encadrent la vieille maison ont des teintes tristement brunes. Les arcades sont peintes dans un style sombre et sévère. La maison s’appuie sur un pilier central tandis que le toit est à peine perceptible.
Vue de face, cette vieille demeure représente trois arcades puis le tannour qui fait partie intégrale de la maison, la toiture a une coloration légèrement ardoisée avec des reflets sombres qui jouent dans la pierre blanche. Tout cela est traité avec une netteté presque sèche. Cette toile est imprégnée d’une sensibilité libanaise inspirée du jord Kesrouanais. Les couleurs fraîches et délicates où domine le blanc et le noir donne à la toile une certaine tendresse architecturale purement libanaise.
Joseph Mattar et l’art sacré
L’emprise de la région sur la vie affective, intellectuelle et sociale du Libanais, nous permet de définir l’art sacré de Joseph Mattar.
Nous savons tout d’abord que les Libanais en général et les Maronites de la Montagne en particulier, de langue et de culture syriaque, avaient échappé pendant des siècles à l’influence arabo-islamique et durent s’intégrer spirituellement à l’Occident. Il est normal donc qu’ils aient puissamment contribué à forger le visage intellectuel et spirituel du Liban d’aujourd’hui.
Ainsi l’observation de l’art sacré de Joseph Mattar invite le spectateur à mieux apprécier et analyser les toiles de notre artiste qui nous fournissent des thèmes purement religieux, qui évoquent les plus hautes valeurs de l’esprit.
La beauté des tableaux sacrés de Joseph Mattar ne provient pas seulement de l’émotion chrétienne qui s’en dégage et du cadre, mais surtout de la richesse de leur signification symbolique et de l’intuition créatrice de l’artiste et de son style pictural unique en son genre.
En visitant le premier salon d’art sacré de Joseph Mattar à l’Université Saint-Joseph, à Beyrouth en 1965, nous remarquons qu’il voit le monde par les yeux d’un ecclésiastique.
Les toiles qui figurent dans ce salon portent les thèmes suivants: Enterrement de Saint Maron, Patriarches, Vêpres, Vierges des cèdres, Vierge de la colombe, Vierge souffrante, Vierge de l’espoir, Mise au tombeau, Christ Poète, Crucifixion, Tête de Christ, Jésus à Tyr, St. Paul à Tyr…
Voici l’analyse d’une toile intitulée: “Crucifixion”
Disons tout d’abord qu’à l’intérieur de la chapelle des Missionnaires libanais à Jounieh, nous trouvons la même toile longue de 4 mètres un vrai chef d’œuvre de Joseph Mattar.
Sur un fond bleu, l’artiste représente le corps du Christ, presque nu, agonisant sur la Sainte Croix, les membres sont robustes avec une certaine élégance. L’expression humaine de la toile jointe à l’expression divine accentue le caractère dramatique de la scène.
En bas du tableau à terre, se trouve la Ste Évangile.
Tandis que la Ste Croix occupe à elle seule la partie la plus importante de la toile. La position de la tête du Christ est bien dessinée. Plusieurs couleurs sont employées: Ocre jaune, ocre rouge, gris violace, bleu azuré.
Le visage de la Sainte Vierge et celui de Saint Jean qui reflètent une mélancolie indescriptible sont traités avec plus de douceur et plus tendrement peints. On lit également dans leur regard expressif les changements par lesquels l’angoisse passe sous l’effet du pinceau de Joseph Mattar.
Plusieurs couleurs sont employées: ocre jaune, ocre rouge gris violacé et bleu azuré. Quant aux pleureuses avec leur chevelure soyeuse et zigzagante, elles occupent la place qui convient à l’organisation décorative de la toile.
Signalons aussi ceci: Comme pour donner à la crucifixion une force d’apparition, le peintre a multiplié les couleurs déjà citées, tout en donnant un accent symbolique à la composition.
Enfin une colombe symbole de l’Esprit-Saint plane au-dessus de la tête du Christ.
L’ensemble de cette magnifique toile referme bien entendu des richesses spirituelles inappréciables et qui restent à exploiter sur le plan des autres enseignements. Religieux concernant l’agonie de notre Seigneur Jésus-Christ sur la Sainte Croix. C’est là surtout que les fidèles peuvent trouver de l’intérêt à faire des découvertes sous une optique typiquement chrétienne.
Les expositions de Joseph Mattar
Équilibrées d’une manière personnelle et accomplissant un pèlerinage aux sources de la spiritualité et du patriotisme exaltant, les expositions de notre éminent artiste de tendance figurative et paysagiste ont toujours remporté un éclatant succès du grand public libanais et étranger.
Sa première exposition date de 1964 à Beyrouth. De nombreuses toiles inspirées des paysans libanais et espagnols furent marquées d’une vive originalité.
En 1965, Joseph Mattar expose son premier salon d’art sacré. Des dizaines de toiles furent présentés à un public de choix. Le succès de cette exposition fut patriarcalement retentissant. Parmi les magnifiques toiles qu’on pouvait admirer figurent notamment:
Les portraits de Saint Marron, de Mar Tacla, de Ste Rita, une crucifixion à Jounieh, la vierge de Kesrouan et de nombreux motifs religieux.
En 1966, 67, 68, et 73 les expositions de Mattar représentent une nouvelle vision de la montagne libanaise.
Sa peinture émane de l’intérieur du Liban et non point de tout ce qui est étranger et s’oriente dans le sillage des peintures classiques et figuratives. Ainsi les beaux rochers de Kesrouan, les saules pleureurs de Kattine et les peupliers de Faraya engagent un dialogue permanent avec les spectateurs. On découvre dans ces expositions un contexte national, familial et social.
En 1977, Joseph Mattar expose à la galerie du Drap d’Or à Cannes (France) une trentaine de toiles sous le patronage de Madame Faure. Ces toiles sont des poèmes d’amour, elles respirent la joie, l’optimisme, la santé et l’admiration.
Disons pour terminer que notre éminent artiste qui a été professeur de dessin et de peinture à l’Université de Kaslik, à l’Université Libanaise et dans les Écoles Normales, dispose d’un technique personnelle qui lui est propre et qui lui permet de mettre en valeur ce qu’il voit grâce à un jeu prononcé d’ombre et de lumière. Ses couleurs préférées sont le jaune, le bleu et enfin le vert qui triomphe partout. Ses dernières créations sont : Des fleurs, des paysans et une composition.
Joseph Mattar le fils bien-aimé de cette région Kesrouanaise s’avère réaliste en même temps que très expressif et invente un monde d’une poésie étrange.
Etudes artistiques
– A l’atelier du Maître Omar Onsi de 1955 – 1961
– A l’atelier du Maître Georges Corm 1958 – 1961.
– Au centre Culturel Italien à Beyrouth, 1955 – 1957.
– École supérieure des Lettres à Beyrouth 1958-1959. Faculté de Médecine à Beyrouth (études anatomiques) 1961.
– École des Beaux-Arts, Université de Madrid, 1961 – 1964.
– Professeur à l’École des Beaux-Arts de l’Université libanaise depuis 1968.
– Membre du Syndicat des artistes libanais depuis 1960.
Joseph Mattar au Brésil
En Mai 1976, Joseph Mattar se rendit au Brésil où il exposa à Rio de Janeiro, à Sao Paulo et à Belo Horizonte ses œuvres les plus importantes, une série de quatre-vingt toiles, représentant une étude sur les Maronites, des paysages libanais, de nombreux tableaux sur la mer et les marins, des portraits, ainsi qu’un univers à divers motifs qui s’enchevêtrent et forment un ensemble harmonieux dont la nouveauté est plus que fascinante et expressive.
En un mot, on peut dire que les expositions de Joseph Mattar à l’étranger expriment le sentiment légitime du libanais à l’égard de son pays natal.