Rencontre avec Joseph Matar à Eddé (près de Byblos)
Mercredi 23 juillet 2014

Joseph Matar, né en 1935 à Jounieh, est connu pour ses toiles représentant les maisons traditionnelles libanaises, des natures mortes et des scènes bibliques. Il intègre l’École Supérieure des Lettres à Beyrouth (1955-1957) suit des cours d’anatomie à la Faculté de Médecine de Beyrouth (1958-1959) et des cours au centre Culturel Italien de Beyrouth (1955-1957). En parallèle à ces études, il fut l’élève de grands peintres libanais : Omar Onsi (1951-1961), Georges Corm (1958-1961), Rachid Wehbé (1956-1961).

Il reçoit des bourses lui permettant d’approfondir ses talents artistiques à l’étranger, et effectua des séjours à Madrid (1961-63), Paris (1963) et Rome (1973). Il obtînt le Diplôme de Hautes Études de peinture de l’Université de Madrid et de l’École San Fernando des Beaux Arts (1963), un Doctorat de 3e cycle de l’Université de Paris VII (1984). « Arts plastiques : technologies et expression picturales » et un Doctorat d’État en 1999 de l’Université Libanaise.

Tout au long de sa carrière, il réalise plus de soixante expositions individuelles au Liban et à l’étranger. Ses œuvres se retrouvent aujourd’hui dans de nombreux musées, galeries ou collections privées partout dans le monde. Professeur à l’Ecole des beaux-arts de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) depuis 1963, il a également enseigné à l’Institut National des Beaux-Arts de l’Université libanaise.

Nous avons souhaité rencontré Jospeh Matar afin d’évoquer de son art et connaître son avis sur la situation artistique en pleine effervescence au Liban. L’art contemporain, a suivi l’évolution de l’art mondial avec des nouvelles techniques et médias, il est loin de la facture classique de Joseph Matar.

C’est quoi pour vous l’art contemporain ? 
J.M. Pour moi, il y a l’ “Art” seulement, qu’il soit ancien, contemporain ou futuriste.
Moi qui admire Michel-Ange, Vermeer et l’école flamande, Rembrandt, Goya… Quand je dessine ou je peins, devant les surfaces blanches, j’oublie toutes mes connaissances, cherchant en moi-même de nouvelles conceptions, lignes, couleurs, matières etc.

En temps que peintre, quelles sont vos références, influences, inspirations ?
J.M. Tout est inspiration, la vie elle-même est un vaste champ d’inspiration, quand je suis à l’œuvre j’oublie tout, il n’y a que mon ego et le bon Dieu. Parler de références, j’admire le génie de tout autrui.

Joseph Matar nous invite à visiter son atelier, c’est un lieu vaste, lumineux, les toiles, par centaines, imprégnées du soleil éclatant de la Méditerranée, si cher au cœur de l’artiste : « En ma profession d’artiste: la peinture en tant qu’art est création continue. Un autre élément est venu s’ajouter à celui de la couleur, c’est celui de la lumière ».

Au détour de la visite nous découvrons le coin des palettes, insolite, où sont conservées d’anciennes palettes, transformées en « palettes-toiles », datées et classées.
L’artiste avait pris l’initiative, depuis quelques années, de garder ses palettes usées et les convertir en mini toiles. Les couleurs imprégnées au fils des mois servaient pour métamorphoser cette plaque de bois en une œuvre d’art à part entière.

Une question s’impose dès lors : Avez-vous pensé à exposer vos ces palettes?
Joseph Matar élude la question, pour lui c’est un travail personnel, loin de toute désir d’exposition ou promotion, c’est le rapport intime de l’artiste avec ses matériaux, une façon de garder encore un près de son cœur, ce nuancier de couleurs qui le guide dans la composition de ses toiles.

Ces palettes « recyclées » n’étaient pas sans nous rappeler les crucifix de Robert Combas, présentés à l’occasion de son exposition Qu’es Aco, à Arles en 2008. Fabriqués avec des pinceaux usagés et de tubes de peintures usés (1), ces œuvres font partie de la collection de l’artiste. Combas n’a jamais accepté de les vendre ou de s’en séparer.

Autre trait marquant dans le travail de Joseph Matar, les dessins préparatoires, sorte de « story-board », qui retrace par le trait les différentes étapes qui constituent la toile. Un travail à la manière de Van Gogh qui affectionnait le dessin (2) par dessus tout :
« Je dessine comme on écrit couramment, je cherche à saisir dans le dessin ce qui est essentiel – puis les espaces limités par les contours, exprimés ou non, mais sentis (…). Les touches viennent avec une suite et des rapports entre elles comme les mots dans un discours ou dans une lettre ».

Joseph Matar déplore la perte de cette pratique chez les jeunes artistes. Pour lui le dessin est la base de construction d’une toile. Cependant de nos jours les étudiants délaissent cette technique fondamentale, s’orientant plus vers les techniques contemporaines que l’artiste n’estime pas trop.

Cette parenthèse nous donne l’occasion d’échanger au sujet de l’art contemporain qui prend du terrain. Une nouvelle expression artistique plus axée sur la performance, la vidéo, les nouvelles technologies, le mixed – media, etc. Cette forme d’art ne correspond pas à l’Art qui anime Joseph Matar. Il est loin de toute référence esthétique, de ce qui pour lui constitue l’âme d’une œuvre : sa composition, ses couleurs, son sujet. Pour Joseph Matar ces productions sont loin de l’Art. Les arts plastiques sont devenus le reflet d’une société en mouvement, du consumérisme outrancier. Le mot « marché » est humiliant quand il s’agit d’Art. Au XXème siècle le terme mécène a perdu tout son sens noble. Ce ne sont plus que des relations d’intérêts et d’investissements, loin de toute sensibilité et esthétisme.

Vues générales des salles d’entrepôt des œuvres

Nous quittons l’atelier de Joseph Matar, les yeux emplis de lumière divine, des paysages libanais de notre enfance, des petites maisons en pierres à la toiture rouge, des champs de coquelicots, un foisonnement esthétique authentique d’un pays en pleine mutation. Dur de quitter ce havre de paix accueillant.

Un remerciement particulier pour Joseph Matar et son fils William

(1) J’ai eu la chance de diriger la mise en place de cette exposition. Et de coordonner le catalogue, Robert Combas, Qu’es Aco, Fondation Van Gogh Arles – Actes Sud, 2008, pages 104-105.

(2) “En dépit de tout je me relèverai: je reprendrai mes crayons que j’aurais pu abandonner dans un grand découragement et je dessinerai encore et toujours.” Vincent van Gogh, lettre 136, 24 septembre 1880.

Souraya KANAAN ABIFARES
Docteur en Histoire contemporaine – Univesrité Paris IV-Sorbonne
Master II professionnel en Histoire de l’Art – Université Paul Valéry, Montpellier III
Conservation, gestion et diffusion des œuvres d’art des XX° et XXI° siècles