Palettes
Dans son atelier notre ami peintre nous a toujours montré ses trésors d’art, ses provisions de beauté.
Des toiles et des toiles, des fleurs, des enfants, des visages, des paysages, des personnages nés dans son imagination, des arbres en profusion, pour l’arbre, quelle apothéose, il le peint dans toutes les saisons, des maisons sorties de notre tradition, des scènes grandioses, des scènes familières des scènes de prière de grandes oeuvres pour de grandes occasions.
Mais aujourd’hui pour la première fois, suprême générosité, le peintre a dévoilé sa palette, la palette de l’année.
Pour la première fois il nous a fait entrer dans son intimité, mais avec quelle pudeur quelle rapidité, à la presque dérobée, car la palette appartient à sa vie privée.
Sur son bord la couche épaisse des couleurs superposées, au centre le thème favori de l’année et la palette étant cette année, dédiée à l’âne, on a vu un joli bourricot avec des coquelicots sur le sommet du crâne.
Témoin fidèle de ses angoisses, de ses tensions, compagne de ses puissantes émotions, la palette a tant vibré aux éclairs de génie et aux instants de création, elle a tant tressailli à chaque invention que, marquée par cette relation elle est presque devenue vivante et je ne serais pas étonnée si les couleurs accumulées se mettaient un jour à germer. Elles donneraient de hautes herbes, des fleurs, des foins et des chardons et ce serait si verdoyant si ravissant, si alléchant toutes ces gerbes, ce serait si appétissant que le petit ânon s’y laisserait prendre, il pourrait se laisser tenter, et si un jour il avait faim, il pourrait se mettre à brouter.
Andrée Thoumy
(Extraits du livre “Filigranes”)