Bkerké – Esplanade

J’étais à Bkerké l’autre soir. On allait enterrer un saint homme, évêque du rite et bien plus, émérite nonce apostolique libanais maronite dans les pays du sud-Europe…

Tout l’épiscopat autour du Patriarche, et des centaines de voitures, de parents et d’amis face à ce petit Vatican local, pour les condoléances et les chants touchants des funérailles…
La chapelle intérieure patriarcale, trop petite, pour accueillir la foule, la cérémonie s’est déroulée sur l’esplanade Est qui fait face au Patriarcat.

Cette esplanade, aménagée en immense terre-plein pour contenir, tantôt quelque énorme foule, ou tantôt quelque imposant parking de voitures de notables, l’a été aussi depuis peu, en spacieuse chapelle d’occasion pour des cérémonies de surnombre. C’était le cas ce soir-là.

Mais quelle chapelle! Et ce soir-là, comme tout après-midi, au dôme de verre sous un plein soleil qui en faisait une étuve !…

L’artiste ingénieur et le clergé qui ont commandité ce four, n’ont vraiment pas fait preuve de beaucoup d’imagination. On suait là-dedans ou là-dessous, malgré le ronron des ventilateurs et des chants et allocutions funèbres, ou en dépit d’eux. Le soleil implacable dardait de tous côtés ses rayons lumineux et chauds. Cet antre n’avait-il été conçu que pour des rencontres matinales ou nocturnes ? N’y avait-il pas d’autre lieu, ou un autre conditionnement pour de semblables cérémonies ? Qui eût tenu compte, peut-être, des pentes abondamment boisées de l’endroit. On a manqué d’audace ou de bon sens. Or on a cru y remédier par des apports dits artistiques, que moi, peintre, je trouve naïfs et détestables.

Reste face à la structure externe et à l’ombre du mur d’entrée, j’ai eu donc loisir de maugréer au lieu de prier (d’ailleurs le saint homme était pour moi au ciel depuis un bon moment ! alors !…) je pensais aux chefs d’œuvre d’églises ou de chapelles que les artistes et commanditaires ont su réaliser ailleurs. Nous sommes loin, là, des Papes Jules II, ou Médicis, suscitant l’éclosion d’un admirable monument. Notre Béatitude et son collège de conseillers… se sont-ils crus architectes, plasticiens, esthéticiens ? Une assemblée souvent composée un peu de tout et de rien. Notre Béatitude, son Etat-major, et les conseillers ont-ils voulu imiter la place Saint Pierre à Rome ou la place Cibèles à Madrid, ou la Concorde, l’Opéra à Paris et ailleurs…

Ils ont eu, paraît-il une grande sûreté et confiance en ce qu’ils faisaient et à qui ils s’adressaient…

Ils auraient dû pourtant soumettre un pareil projet à un concours et s’adresser à toutes les personnes compétentes en plus d’une bonne volonté.

Ils ont réalisé un chef-d’œuvre de laideur, ont détruit un agréable environnement, ont créé une fournaise, ou un congélateur en hiver. Ces responsables n’ont-ils pas voyagé et vu les chefs-d’œuvre dans le monde depuis l’art Roman jusqu’aux œuvres contemporaines ?

Cathédrales, églises, cryptes, sanctuaires… en France, en Espagne, en Italie etc… pour ne citer que ces trois pays, surtout la ‘Vallée de los Caïdos’ vallée des Martyrs dans une région montagneuse ressemblant au Liban… et cette place à Bkerké est un parking à l’aménagement de mauvais goût.

Quant à cette muraille (sous trois ou quatre poteaux de haute-tension) sans forme, ni caractère, avec deux ouvertures et deux ‘trous’ est-ce pour des chapelles latérales ? Désagréables, au centre se trouve une coupole en verre et vitrail géant en demi-cercle d’une laideur exceptionnelle.

Dans un pays chaud en général ne faut-il pas créer des zones d’ombre, de fraîcheur au lieu d’une fournaise ?

Est-ce vraiment un lieu de prière, de méditation ? De contemplation ? De communion… avec le Ciel ? Quelle idée ces dirigeants ont-ils de l’art-sacré ? Est-ce un Forum ? Un théâtre ? Une salle de spectacle ? De réunion ? Même si le fond est ‘illustré’ par une croix en béton brut.

C’est du Saint Sulpice, oui, et que font ces mosaïques représentant le Saint Père Jean Paul II avec sa Béatitude ? Jadis les bienfaiteurs dans la chrétienté quand ils offraient une commande aux grands maîtres, demandaient à l’artiste créateur de les représenter quelques part dans l’œuvre.

Nos églises anciennes, malgré leur manque de faste, de richesses, étaient agréables, pittoresques, elles étaient un lieu de rencontre, un livre d’amour unissant Dieu aux hommes. Les églises simples s’intégrant dans l’environnement. En Europe les Cathédrales étaient une université, le peuple pouvait cultiver et approfondissait ses connaissances grâce aux œuvres d’art, sculpture, peinture, vitraux etc…

Bourges par exemple est différente d’Amiens, l’une célèbres les vertus, l’autre est messianique. Les unes parlent de l’avènement prochain du Sauveur ou illustrent la ‘Légende dorée’, les merveilles de la Création ou enseignement encyclopédique…

Reims est la Cathédrale nationale la seule Française (Baptême de Clovis, les rois de France) toutes les autres sont Catholiques, universelles…

Le clergé pouvait enseigner aux fidèles les vérités,… la puissance de l’art, la pensée chrétienne… Victor Hugo a vu juste ‘La Cathédrale est livre de pierre pour les ignorants’.
Jadis nos braves moines et curés enseignaient sous le chêne du village le catéchisme etc… les vertus, la sainteté, l’amour de la terre, l’union de la famille etc… N’avions-nous pas au Liban d’artistes doués sur le plan religieux et sacré?

Quant à moi qui suis venu participer aux funérailles d’un ami, j’ai osé traverser la place au soleil brûlant pour m’installer dans l’étuve.

Devant notre Patriarcat, il fallait créer une autre place, une autre conception et intégrer ce lieu saint dans son vrai environnement. En critiquant ce projet, je me fais une autocritique. Je me souviens que sa Béatitude m’a enseigné plusieurs années chez les Frères, c’était un excellent professeur.

Faut-il accuser ses conseillers qui, peut-être en de domaines pareils, ne sont pas compétents ne fallait-il pas demander à des personnes adéquates: les idées, conceptions, avant-projets, études, visions, … pour en faire de cette place un centre universel pour la Chrétienté en Orient.

Je ne suis pas un adepte des églises du pouvoir, politisées. Je suis, et je soutiens avec passion les églises pauvres de l’Irak où nos frères sont tués, martyrisés, on égorge leur Evêque, leur sacerdoce, eux-même, on dynamite leurs sanctuaires etc… ils résistent et croient toujours en Dieu. Appelle-t-on cela ‘Tolérance’ de la part d’autres religions ? C’est cela accepter autrui ? Que de mensonges ! Que de crimes se sont exécutés au nom de Dieu.

Les vrais témoins du Christ sont ces persécutés syriaques ces orthodoxes et catholiques ces chaldéens, ces coptes et autres qui représentent la vraie Iglesia ou assemblée loin des parades, des façades de fastes télévisés, loin du luxe, de la richesse, ils ont vraiment vendu leur bien et ont suivi le Seigneur. Je viens de dire que l’église du pouvoir n’est pas l’église du Christ, rendons à César ce qui est à César et que le soleil d’Orient éclaire et guide et illumine tous les braves libanais en particulier notre clergé.

Quand les disciples du Christ ont fléchi, ont manqué de courage et d’ardeur, de force et d’amour, c’est l’apôtre des apôtres la toute dévouée ‘Marie Madeleine’ devant le crucifié a courageusement clamé ‘si tous t’ont abandonné je suis là avec toi, pour toi je ne t’abandonne pas’.

Joseph Matar
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