Martha – La fille du Curé

Elle était au-delà de toute beauté ; elle avait un charme captivant, ensorcelant ; elle ne ressemblait à personne, sauf à elle-même. Ses yeux avaient ce mystère que je ne peux décrire ; son front était celui de l’ange Gabriel ; son sourire faisait suite à la silencieuse musique cosmique sous un ciel étoilé du mois d’Août en cet Orient féerique. Sa figure était un univers à découvrir ; sa voix celle d’un rossignol ivre et solitaire.

Martha était comme une marque déposée, une et authentique. Celui qui ne connaissait pas Martha n’était pas de la région.

En plus de toutes ses qualités et dons, elle avait une spécificité particulière : elle était la fille du curé ; En Orient beaucoup de nos curés sont mariés, tant dans les bourgs, les villes, les villages. Ils ne sont pas assez nombreux actuellement… Serait-ce un métier que le leur ? une profession ? une carrière ? ou bien une vocation, un message, une mission religieuse ? Vaste et multiple est la question, mais la réponse est unique. Le Curé du village est un sacrifié au service de l’amour : aimer la paroisse et les fidèles paroissiens, se sacrifier pour eux, être une présence active, saine, exemplaire sur le chemin de la foi.

Le Curé, est le chef de la paroisse et aussi de la commune; dans les problèmes locaux le dernier mot lui revient.

Il est comme le vieux chêne du village autour duquel se rassemblent les paroissiens et sous lequel se donnent les premières leçons de savoir-vivre et de culture intellectuelle. Un des services du Curé aura été de suivre au jour le jour l’évolution, la croissance de ses ouailles ; il les a baptisés, catéchisés, confessés, préparés à une mort saine etc…

Il doit surtout prier pour eux et célébrer la Sainte messe en souvenir de la mort et de la Résurrection du Christ … et marier, enterrer, enseigner, soigner, visiter etc…

Que d’occupations ! il doit aussi élever sa famille à moins qu’il soit célibataire et être toujours à l’ordre du jour.

Celui-ci s’appelait Père Jean, père d’une famille de quatre garçons et deux filles.

Le village de ce curé et de sa fille donc était un petit village de pêcheurs, non loin de Tripoli du Liban. Là les habitants vivaient de leur pêche quotidienne ; le poisson était vendu aux enchères dans une coopérative. Ses poissonniers venaient de partout participer à la vente.

Là aussi vivait une autre famille que celle du Curé. C’était la famille de Abou Milad (Christian ou Noël) composée, elle, de trois filles et de deux garçons dont l’un s’appelait Christian. Tous les enfants se retrouvaient à l’école et durant leurs vacances, ils aidaient leurs parents. La pêche un des plus anciens métiers et des plus passionnants. Tous ces enfants jouaient sur la plage ou dans la place devant l’église. Les enfants servaient les messes du Curé à tour de rôle.

Martha et Christian formaient comme un jeune couple, suivaient des cours, et étaient très amis, dans une école à Tripoli. Un autocar ramassait tous les élèves le matin pour les ramener le soir.

Le village entier formait une famille. Les enfants se sentaient des frères et sœurs. Abou Milad était le chef de la coopérative; il s’occupait un peu de tout le monde et servait le village de tout son cœur.

Une petite source qui jaillissait sur la plage parmi les rochers avait été aménagée pour installer une pompe et distribuer l’eau dans les maisons, irriguer même. Une seule petite boutique dans le village pourrait pourvoir aux besoins des villageois. Abou Milad qui avait un petit camion pour ses déplacements, achetait des sacs de farine, de sucre, de riz, dont les voisins venaient se fournir chaque samedi – dimanche. Abou Milad amenait un boucher qui égorgeait un seul mouton, ou bouc et dont la viande était distribuée dans tout le coin. L’ambiance était des plus agréables. Là, vint s’installer une troisième famille : des émigrés du Nigeria qui étaient originaires de la région de Miziara plus à l’intérieur des terres, mais qui avaient acheté et construit un chalet de trois étages au bord de la mer ; plus de 700 m2 pour leurs fins de semaines.

Cette famille d’émigrés Youssef Awad, avait un garçon Bernard, fils unique et une fille, c’étaient des gens richissimes; Leur résidence était seule dans l’ensemble villageois modeste et se trouvait à une centaine de mètres de la maison du Curé.

Donc, la jeune Martha, passait tous les jours plus d’une fois dans ses va et vient vers la plage, ou l’église, ou sur la route principale reliant Beyrouth à Tripoli.

Quant la jeune Martha apparaissait, il se faisait un silence, à quoi couper le souffle ; on la voyait souvent accompagnée par Christian. Ils étaient dans la même classe et étudiaient ensemble, une grande amitié les unissait. Ils passaient des heures ensemble sur la plage, sur le sable, sur les rochers à contempler les couchers de soleil, ou à aider les pêcheurs à ramasser les poissons des filets, ou se dirigeaient du côté Nord et Est, dans les vastes oliveraies, des terrasses de figuiers, de palmiers, des champs de vignes, etc… deux vrais et bons amis.

Depuis les classes primaires jusqu’à l’Université, Christian et Martha étaient inséparables. Le Curé aimait Christian et Abou Milad.

Quant à l’émigré, il était respecté, mais les gens de ce bourg se méfiaient de lui et n’aimaient pas trop le fréquenter ; d’ailleurs, il était en permanence absent, se trouvait au Nord ou au Nigéria.

On racontait que c’était un mafieux, un contrebandier, car comment peut-on faire autant d’argent et si rapidement.

Beaucoup d’émigrés du Nigéria possédaient les machines à sous, les jeux de hasard, les bars, les loteries, le loto, les jeux de chance…

Les pauvres noirs d’Afrique à peine avaient-ils touché leur traitement, venaient tenter leur chance devant les diaboliques machines privant de la sorte leurs femmes et leurs enfants de tout leur avoir : Dans ces jeux, on perd toujours ; c’est la machine qui gagne.

Ce genre de carrière ne demande pas de technicité, et de haut savoir ; d’ailleurs, l’émigré était presque analphabète. Il faut être mal honnête et sans cœur pour admettre ces jeux ruineux pour les pauvres africains, mais de la sorte, beaucoup d’émigrés au Nigéria avaient pu amasser une fortune et se procurer des résidences des mille et une nuits ; plus tard, ils se sont lancés dans les affaires ; industries, commerces, politiques même ; en un mot, le voisin émigré avant était bien argenté et se permettait tout, rien ne pouvait résister à ses projets, souhaits, complots.., peu importaient les méthodes, c’est le résultat final qui comptait…

Donc, Martha et Christian s’aimaient gentiment et leur amour mutuel était vrai, rien ne semblait pouvoir perturber leur relation.

Ils étaient à deux en permanence, un duo ainsi par tout le village.

Ils pensaient réaliser ensemble leur prochain avenir et créer une famille et améliorer le niveau du village. Ils avaient fondé un petit club sportif, culturel où se rassemblaient tous les jeunes du village.

Ils préparaient des fêtes, des cérémonies, des entre-aides, des compétitions… ce qui animait leur petit village. Or, Bernard le fils de l’émigré rencontrait souvent Martha dans la rue devant sa résidence ; il fut comme terrassé et devint un autre ; il refusa de quitter les lieux, de s’en aller à leur autre résidence au Nord, refusant de voyager en Afrique, où il devait être à côté de son père et prendre leurs affaires en charge. Il était comme cloué ici, non loin de la maison de Curé, attendant impatiemment les passages de Martha… dès qu’il la voyait pointer, il descendait dans la rue, la contemplant et la saluant… voulant se rapprocher d’elle ; l’innocente Martha saluait avec son fascinant sourire et son regard candide. Quant au corps de Martha, je ne l’ai pas décrit, ses mesures, sa ligne, étaient celles des déesses de l’Olympe, des copies du paradis.

Le pauvre Bernard qui n’avait jamais été dans une église car ce n’était pas dans les programmes de la maison, venait maintenant tous les jours assister à la messe du Curé ; il voulait se rapprocher de Martha, et se perdre dans son univers.

Le père du garçon, Youssef, l’émigré tout malin qu’il était, voyait son fils unique « chavirer » et craignant de le perdre, il finit par déduire que cela tenait à une affaire sentimentale, lui qui n’avait rien de « sentimental » ; il surveilla de près son Bernard, ses mouvements, sa vie et soudain, la figure de Martha surgit dans ses raisonnements…

Il devint sûr que son Bernard était pris dans les filets de Martha. Pourquoi pas ? Elle était belle, cultivée, aimable, etc… ; investigations faites, il décida d’agir, d’intervenir…

Tel un vieux renard, il appela son fils ; très sérieusement, lui expliqua qu’il arrivait à l’âge de se marier et que « Moi ton père j’ai fait une bêtise en me mariant tard ; il est préférable de trouver une fille qui te convient ; elle sera ton épouse et voyagera avec toi en Nigéria… ».

Le jeune Bernard sentit comme s’il se réveillait d’un rêve et que le sol était devenu plus stable sous ses pieds.

Le même jour, son père envoya annoncer au Curé qu’il souhaitait le visiter ce soir-là même. Arrivé dans la modeste demeure du Curé, l’émigré voyant Martha et Christian ensemble chez le Curé, réagit avec tout ce qu’il avait comme malice et stratégie ; il informa le Curé qu’il ne pouvait rester que quelques minutes ; que son fils Bernard devait voyager le lendemain ou au plus tard dans une semaine. Le fils Bernard observait son père et se demandait ce qui se passait : ce n’était pas l’objet de la visite.

Puis l’émigré salua Christian avec chaleur, lui exprimait son amitié et montrant qu’il s’intéressait aux jeunes, lui posa un tas de questions sur le club, les activités, le village etc.. et voulut montrer qu’il était désintéressé lui-même, il avait sa maison au Nord et qu’ici il ne venait que pour quelques fins de semaine, mais qu’il aimait aider ce village et améliorer sa situation… et séance tenante pour cela, il offrait mille dollars pour restaurer l’église et mille pour le club et que plus tard il offrirait d’autres aides… « L’objet de ma visite, continua Youssef, est le suivant ; j’ai besoin de trois personnes pour les engager dans mes affaires à Lagos : j’ai trouvé deux jeunes du Nord, je préfère trouver le troisième, un jeune universitaire si possible, et l’engager pour 4 mois ; s’il est content et satisfait, on pourra s’entendre pour un travail continu, sinon il pourra rentrer au village.

Je viens vous demander, cher prêtre, de me trouver quelqu’un qui sera très bien payé, parmi les jeunes du village »…

Martha avait le cœur qui battait très fort ; Christian se sentait intéressé…

« J’espère d’ici un peu de temps Mr. Le Curé, que vous pourrez me trouver quelqu’un, afin de préparer rapidement les passeports…; le visa, je l’obtiens immédiatement ; il voyagera avec moi et les deux jeunes du Nord ; j’aime ce village et ses enfants, je désire vous aider… ».

La visite terminée, le jeune Bernard demanda à son père : « Mais qu’as-tu fait ? on vient pour Martha et non pour des employés ! – Tais-toi, imbécile, lui répond son père ; n’as-tu pas remarqué la présence de Christian près de Martha ? et leur amitié, amour ? toi tu dois t’en aller au Nord et tu disparais en attendant le départ de Christian, car je suis certain que le Curé va me proposer Christian comme employé… ».

Le fils Bernard découvrait combien son père était malin et rusé ; il obéit et se dirigea au Nord emportant le souvenir de Martha comme seul bagage.

Le lendemain, ce fut le Curé qui vint sonner à la porte de l’émigré. L’objet de la visite, c’était Christian. Le Curé proposa à Youssef le nom de Christian comme voyageur, pour essayer quelques mois de travail en Afrique et se faire des économies ; si cela lui convenait, il continuerait son travail avec un si aimable patron ; sinon il reviendrait au pays. Curé, Christian, Martha, Bernard… ils étaient tous dans les poings du Youssef et dans ses filets : réaliser son but, éloigner aimablement et sans problème Christian de Martha, et avoir pour elle le champ libre devant son fils Bernard. Le plan du Youssef avait follement réussi.

Martha était bien triste, de se séparer de son bien aimé, mais satisfaite de pourvoir par là, assurer un avenir pour elle et Christian. Ils resteraient en contact par courrier et par l’intermédiaire du Youssef… Christian sentait bien qu’on lui arrachait Martha ; il pressentait quelque malheur. Que vaudrait tout le travail du monde si Martha était perdue ?
La dernière semaine fut pénible, entre Martha, Abou Milad et Christian.

Dire adieu à un fils si aimable, si serviable était dur pour Abou Milad. Mais il pensait que son fils, universitaire ne pourrait pas faire le même métier que lui en ces temps modernes ; il préféra le lancer dans les affaires avec un voisin si honnête. Tout le monde pleurait ; on était heureux et triste à la fois. Christian essuyait les larmes de Martha et lui promettait un prochain retour, pour leur union… et Martha de jurer qu’elle penserait à Christian au quotidien.

Abou Milad se demandait cependant, pourquoi Youssef qui depuis plus de dix ans avait là son chalet « n’avait jamais adressé un salut, un mot aux habitants de notre hameau ? est-il vraiment bon ? que se passe-t-il ?… ».

En moins de dix jours, passeport et visas étaient prêts ; la luxueuse voiture du Youssef se gara devant la maison de Christian où le Curé et tous les parents et Martha étaient présents pour le dernier adieu.

La veille, Martha et Christian avaient passé leur journée à la plage parmi les rochers, sur un sable chaud et propre. Christian admirait Martha, sa beauté, ses couleurs, tout était harmonieux en elle.

Ils s’embrassaient et pleuraient leur prochaine séparation.

La voiture démarra en direction de l’aéroport de Beyrouth ; l’émigré jouait le rôle de père, bon, aimable, généreux.

La première journée à Lagos débuta ; on présenta à Christian Souraya, la secrétaire de Youssef et d’elle dépendrait Christian. Il avait un poste de coopération et de contrôle, il devait surveiller le bon fonctionnement du système en place, il devait contrôler les nombreux ouvriers et personnel etc…

Ce Youssef fit comprendre à ses rapprochés qu’il n’avait pas besoin de Christian ; il voulait seulement l’éloigner de Martha pour laisser le chemin libre pour son Bernard qui en était follement épris. Souraya était la personne qui comprenait à fond l’âme de l’être Youssef, elle savait à quel point la méchanceté l’habitait ; elle sympathisa Christian qui avait l’âge de son propre fils et fut à ses côtés pour le protéger, elle se méfiait du Youssef. Christian écrivit deux ou trois lettres qui n’arrivèrent jamais : Youssef les déchirait. Ce Youssef dû rentrer au Liban pour terminer son complot. Le voyant revenir, on s’empressa de le recevoir et lui présenter des vœux. Martha surtout demanda si Christian ne lui avait rien envoyé ? mais, lui : « Pourquoi écrire, puisqu’il est en bonne mains ». A peine arrivé à Lagos, Christian s’est vu bien entouré ; il n’a pas eu, de nostalgie ; il passe tout son temps avec une certaine Suzane d’origine libanaise ; je le crois épris par sa beauté, ils ne se quittent plus ; il est si bien, si heureux, qu’il ne pense jamais rentrer au Liban ; ce n’était pas dans notre accord au départ, mais Christian est un si excellent employé, il maîtrise tellement bien son département, que peut-être un jour, il pourra créer sa propre entreprise… ». Le Youssef jetait de temps à autre un coup d’œil sur Martha, comme indifférent… Celle-ci crut un instant ce qu’elle entendait ; elle s’éclipsa et se dirigea vers son lieu favori ; les rochers et la plage, le soleil et le ciel profond et se prit à pleurer et calma sa crise; elle se disait que ce Youssef n’était qu’un menteur. Mais une dizaine de jours s’étant écoulés, c’est le Youssef qui annonça au Curé une petite visite ; le soir il arriva avec son fils Bernard ; celui-ci retira de sa poche une petite boite et l’offrit à Martha qui la refusa catégoriquement. C’était pourtant un solitaire qui valait au moins quinze mille dollars, et Youssef d’ajouter : « Nous sommes des voisins, presque des parents ; il faut que l’on se voie plus souvent, et toi, chère Martha, je te considère comme ma fille ; accepte ce cadeau de mon fils en signe d’amitié, ce n’est qu’un souvenir » Sur l’insistance du Curé et de sa mère elle accepta le solitaire. « Elle commence à mordre », se dit Youssef en son intérieur. « Nous vous invitons à venir prendre chez nous un verre, le soir qui vous convient ». C’est ainsi qu’un rapprochement et de bonnes relations s’établirent entre les deux familles. Mais au fond, Martha resta intraitable ; elle ne croyait pas ce qui se passait, elle qui était si proche de Christian et si amoureuse ; elle ne céderait pas ; elle priait la Vierge aux rochers de l’aider, se trouvant seule à affronter son environnement. Le Curé était heureux d’avoir Youssef comme ami, et d’être accablé de précieux cadeaux : Colliers, bracelets, broches et de l’or qui tombait comme une pluie sur l’innocente Martha, et un jour, cela devait arriver, le Youssef informa le Curé des intentions de son fils Bernard et qu’il serait lui-même heureux d’avoir Martha comme épouse de son fis unique… Il essuya un refus total de Martha. « Je dois terminer mes études – Je ne suis pas pressée, pour le moment » etc…

Devant cette nouvelle difficulté le Youssef préféra attendre, et dût voyager au Nigéria ; mais cette fois avec la décision d’un finir avec le Christian.

En arrivant à Lagos, celui-ci lui demanda des nouvelles. De nouveau, Youssef avait déchiré toutes les lettres qu’il portait de la part de Martha. Souraya la secrétaire se sentait inquiète pour Christian ; elle suggéra à ce dernier de s’éloigner de ce lieu et de disparaître.

Or Youssef demanda un jour à sa secrétaire de convoquer deux de ses hommes – en réunion ; une communication téléphonique interrompit la réunion, et Youssef par inadvertance laissa son appareil à moitié ouvert ; Souraya put entendre ce qui se tramait ; elle comprit que les deux noirs convoqués avaient une mission ; faire noyer Christian dans le Niger : « accident de voiture ». Elle court au bureau de Christian, l’implorant de fuir, de disparaitre ; car le Youssef avait ordonné de le tuer ; « Prends » ; et elle lui donna ce qu’elle avait sur elle : quelques quatre cents dollars ; Christian réalisa, alors en un instant tout le film dont il était un héros malgré lui. Mais il n’avait pas son passeport sur lui. Il avait été séquestré par le Youssef…

Il embrassa Souraya pour la remercier et disparut immédiatement.

Il descendit dans la rue, sauta dans un autocar qui se dirigeait vers le Biafra à Aba ; il n’avait sur lui aucun document ; ni bagage. Mais dans l’autocar, il vit un « Père en blanc » probablement un « dominicain » ; il vint s’asseoir à ses côtés, prit une feuille et écrivit : « Révérend père, ma vie est en danger ; on a planifié de m’éliminer ; je vous prie de m’aider ;

– de quoi s’agit-il ? :
– Mon patron désire m’éliminer ; protégez-moi pour deux jours, le temps nécessaire pour organiser ma fuite ; je vous prie ; je suis un maronite de Liban.
– Je suis allé à deux reprises au Liban, répondit le Père ; après le terminus, reste à mes côtés et suis moi ».

Arrivé à Aba, le car s’arrêta ; c’avait été un bon voyage. Le dominicain marcha devant ; ils arrivèrent devant un grand portail que gardait un portier noir ; le père annonça entrer avec Christian ; c’était la résidence d’un ami belge, un industriel et homme d’affaires ; un certain Pierre Lesueur qui vint à la rencontre du moine, se pressa salua Christian. « Voilà, dit le moine, à ce monsieur Lesueur. Je désire trouver un « job » à mon ami Christian qui doit rester, loin de Lagos pour cause de sécurité, n’importe quel emploi, même simple ouvrier ».

Ce monsieur Pierre, ordonna à son chauffeur de déposer Christian dans son entreprise dans la zone industrielle. Christian eut vite fait de se familiariser à son travail. Son expérience, ses capacités, son honnêteté. Pierre s’en rapprocha et en fit le responsable, et directeur d’une usine de presse à huile de tournesol, ou de soja que l’usine commercialisait.

Trois ans passèrent, Christian n’osait donner aucun signe de vie ; il vivait dans le mutisme craignant des représailles du Youssef contre ses parents ou le Curé et Martha; cette dernière de son côté fit comprendre à Bernard qu’elle ne l’aimerait jamais, mais sous les pressions des siens, elle l’accepta en mariage blanc; elle était comme une tigresse à qui on a arraché les tigrons. Bernard n’osait pas l’approcher ; un mariage qui ne fut donc pas consommé ; le pauvre mari devint de plus en plus taciturne, mélancolique, nerveux, malade ; il ne quittait plus la maison ; Martha à part soi, en avait pitié. Quant au Youssef peu soucieux et égoïste, il ne s’intéressait qu’à ses affaires ; le mariage de Bernard avait été aussi une affaire comme une autre.

Sa propre fille elle, se droguait, et dans une overdose, elle se donna la mort ; la propre femme de l’émigré était complètement effacée : à quoi servait toute cette richesse. Après une longue maladie de langueur, Bernard mourut lui aussi.

Or en Afrique, un accident, une explosion d’une chaudière eut lieu à Calabar non loin de la frontière avec le Cameroun dans une usine appartenant à Lesueur. Christian dût voyager immédiatement vers le lieu de l’incident ; un pauvre noir y avait trouvé la mort ; on livra à Christian les affaires de défunt : c’était un Somalien. Christian s’appropria le passeport devenu inutile et se dit : « Je n’ai qu’à remplacer cette photo par la mienne et je deviens Hassan Sinno ; je trouverai une identité qui me permettra de me déplacer.. ».

Il se dirigea vers Lagos en avion ; appela Souraya, s’enquit du Youssef ; « il est au Liban », lui dit-elle, il lui annonça qu’il était Christian et qu’il désirait la voir ; elle fut émue. Christian se jeta dans ses bras et s’agenouilla devant elle, lui devant sa vie et lui raconta son aventure, et elle, celle du Youssef, du décès de sa fille, du mariage raté de Bernard etc… et que les hommes de Youssef avaient été longtemps à sa recherche. Il la pria de lui procurer ses papiers, son passeport ; elle avait localisé le tiroir où Youssef plaçait ses documents intimes ; elle était secrétaire et directrice mais son propre mari était un associé de Youssef ; elle donna à Christian ce qu’il voulait ; et ils s’embrassèrent dans l’espoir de se revoir.

Il, se rendit à l’ambassade libanaise de Lagos pour mettre son passeport à ordre du jour et retourna à Aba, informant son bienfaiteur : Pierre qu’il désirait rentrer au Liban et qu’il reviendrait dans quelques mois. Christian avait maintenant assez d’argent et était aisé; dix ou onze ans avaient passé depuis que nos deux amoureux s’étaient juré d’être fidèles à leur amour, et avaient pu voir le soleil se lever dans leur âme. Pendant onze ans sans nouvelle, ni lettre; un oubli absolu. Christian savait que des changements avaient eu lieu, que d’évènements avaient connu leur hameau, leur église, le Curé … et Martha… on me demandera, ici, à moi le narrateur, comment j’avais pu connaître tous ces évènements ? je le dirai simplement: j’avais été invité un 15 Août, à une grande fête de l’Assomption dans la région de Miziara ; je m’étais arrêté devant un immense palais en pierres taillées tel un Héliopolis, grandiose, impressionnant,… des terrasses, des vergers, un palais digne de Haroun el Rachid, des mille et une nuits ; mais sans vie, vide ; on me dit que le propriétaire était un ancien mafieux, et que actuellement ce lieu était sans héritier, toute la famille avait été décimée. Curieux, j’ai commencé et poursuivi mon enquête pour arriver à ce village de pêcheur ; le Curé avait la tête auréolée d’une abondante chevelure et barbe blanches ; le vieux Abou Milad était devenu chétif et nerveux ; le chalet du Youssef était le centre des activités du club du village ; on se rassemblait justement ce soir-là dans ce lieu. Le seul soleil qui brillait encore c’était Martha, toujours belle et fascinante ; elle n’avait pas vieilli ; sur ses trente ans, elle paraissait comme une déesse. J’ai pu rencontrer Christian ; et c’est Martha qui me raconta que le huit septembre, jour de l’Immaculée Conception, comme elle priait la Vierge et pleurait, en se dirigeant vers les rochers son pèlerinage quotidien, elle avait vu de loin de quelqu’un assis à la même place de Christian; son cœur battait très fort ; sa marche s’était accélérée ; rêvait-elle ? était-ce utopie ? les larmes coulaient de ses yeux à distance… oui, c’était lui; « c’est-elle, me dit-elle : la Vierge Marie avait répondu à mes supplications, à ma prière… », Christian voyant Martha venir s’était levé et avait couru à sa rencontre pour reprendre ce long baiser qu’ils avaient interrompu il y avait douze ans… ç’avait été très émouvant, une rencontre toute de sentiment et de grâce et bras dans les bras, ils s’étaient dirigés vers le village, le Curé, Abou Milad, les amis ; ç’avait été la grande fête…

En réalité le palais du Youssef avait une héritière, car le Youssef, lui, achevait ses jours dans une maison de retraite pour paralytiques, il avait dans son testament, offert toute sa fortune à son fils Bernard, qui, entre temps était mort comme j’ai dit.

L’héritière, était donc Martha qui, elle, n’avait pourtant jamais mis les pieds dans le palais qu’un gardien entretenait et le chalet du bord de la mer, elle l’avait cédé au club des jeunes de son hameau. Maintenant qu’elle avait retrouvé Christian, elle possédait toutes les richesses de monde.

Martha et Christian m’invitèrent chez eux où je passai plus de quatre heures en leur compagnie comme si c’étaient quatre secondes. On ne se lasse pas des êtres qu’on aime.

Joseph Matar
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