Moïse, l’enfant adopté
Henri, et Nada, un couple très uni, lui ingénieur – entrepreneur ayant fait les grandes Ecoles à Paris, et elle infirmière diplômée travaillant à l’Hôtel Dieu de France à Beyrouth; ils habitaient non loin de notre maison, venaient de temps à autre visiter mon atelier et aimaient contempler avec intérêt et compréhension.
Lui, était en plus passionné de musique et aussi pratiquait régulièrement le sport, entre autres la natation.
Elle, préférait rester à la maison, cuisiner, coudre, préparer des tartes et des pâtisseries diverses qu’elle emportait à l’hôpital, les offrir à ses collègues en prenant un café ou un thé dans les minutes de repos, car d’habitude, on se repose très peu en un hôpital, on y vit l’urgence en permanence.
Leur souhait et ceux de leurs amis, c’était de les voir entourés d’enfants, d’y voir une famille… mais, manque de chance, après dix ans de mariage, et de traitements, il s’était avéré que Nada était stérile; peu à peu s’était éteint l’espoir de porter un bébé tant désiré… Ils s’aimaient et vivaient courageusement leur désappointement. Henri ne se plaignait pas ; il acceptait comme on dit la volonté de Dieu ; c’était tombé sur eux ; ils s’aimaient, c’était bien. Tant de figures bibliques et saintes en avaient été là, dit saint Luc 1/5-7.
Nada décida bientôt d’adopter un enfant à tout prix. Sans la présence d’un enfant la maison est bien vide. Or cela n’était pas facile, ni rapide à réaliser ; la décision pourtant avait été prise.
Parmi leurs nombreux amis et connaissances, ils sollicitèrent des gynécologues, les crèches, les maternités, les hôpitaux, les religieuses de Saint Vincent, etc…
Il leur fallut attendre plus d’une année. Puis un jour, les religieuses, après des démarches régulières devant la police et les autorités civiles, Henri et Nada furent contactés… on leur a annoncée que dans la nuit du 5 au 6 Août, ils trouvaient un tout petit bébé de un ou deux jours sur le perron de leur porte d’entrée, et que l’incident serait enregistré dans leur registre et dans celui de la police. Si quelqu’un devait venir un jour réclamer l’enfant, l’affaire resterait totalement secrète ; personne ne connaîtrait le nom des adopteurs…
Il était malheureusement fréquent de vendre des enfants et d’en faire du chantage, etc…
Ils envoyèrent une voiture prendre la religieuse et l’enfant de Zouk vers Harissa le soir ; ils attendirent près de l’entrée d’un restaurant ; dans une autre voiture louée, autre que la leur, et discrètement, ils prirent l’enfant, tout joyeux et rentrèrent chez eux la nuit, ayant préparé tout le nécessaire, lait, biberon, langes etc…
Ils avaient en ménage une Ethiopienne, mère de plusieurs enfants qui prit le bébé en charge.
Madame Nada s’absenta de l’hôpital durant plus d’une semaine… Ce fut tout un changement dans leur vie : les horaires pour les soins du bébé, la vie nouvelle à la maison ; ils étaient auparavant deux : voilà qu’ils étaient maintenant trois. Ils entreprirent les démarches pour inscrire l’enfant en leur nom et l’adopter…
Tout se passa normalement ; c’était un ange du paradis qui venait renforcer leur amour.
Le principe de l’adoption suppose un certain niveau de culture humaine, de l’amour pour autrui, de générosité, de bonté…
Deux semaines s’écoulèrent ; ils étaient encore sous l’émotion, il fallut penser au baptême de l’enfant : Quel nom lui choisir ? à quelle date ?
Dans les registres ils l’appelèrent Marc, mais dans le baptême ils optèrent pour « Moïse », Moussa; il serait donc Marc-Moïse.
Pour la date, le lieu, on opta pour le 6 Janvier dans l’église de la paroisse. Les amis seulement très intimes et réduits furent invités. Je fus du nombre. Je portais Moïse, comme Moïse porta les tables de la loi sur le Sinaï.
Une fête fut offerte pour l’occasion pour les deux nouveaux parents Henri et Nada.
Comme Jésus, né petit dans une crèche, il avait grandi pour atteindre le sommet : la Crucifixion et la Résurrection.
Marc-Moïse, de bébé devint grand au sein de cette excellente famille. Il occupait tout le temps de sa mère et de son père. Henri et Nada ne quittaient plus la maison et étaient à la merci de l’enfant.
Toute leur existence se résumait à Moïse, le baigner, l’habiller, le nourrir, le faire jouer… afficher partout les gribouillages qu’il faisait, lui apprendre à chanter, danser … et Moïse se prêtait bien, à tout. Bientôt ce fut la garderie; où il commença à connaître des gosses de son âge, ce fut l’école, les classes préparatoires, son petit cartable, ses premières écritures, le bé à Bâ, la lecture des anniversaires et ses petits copains et copines de l’école… C’était un petit jeune homme qui poussait devant les yeux admiratifs de Henri et Nada.
Les institutrices le suivaient, l’aidaient dans ses leçons et devoirs… les activités para scolaires, le sport, la peinture, la musique… ; il était l’enfant gâté ; on ne lui refusait rien ; sa première Communion, son premier certificat d’études… ses sorties chez ses amis… achats de jouets, voyages, cinémas… il put sortir seul, sans être accompagné par Henri et Nada.
Il organisa sa vie et découvrit sa personnalité, ses « moi » propres…
N’empêche, ils le suivaient à la seconde ; ils étaient en permanence en état d’alerte.
Il se demandait, lui, pourquoi il était unique ? sans frères et sœurs alors que ses parents adoraient les enfants ? Il entendit dire dans le secondaire, par certaines langues, qu’il était un enfant adopté.
Il n’y attacha pas d’importance, il ne posa aucune question à Henri et Nada… (on ne le lui dit pas…). L’Université… il opta pour la chimie, études de laboratoire, analyses…
Il fut brillant dans ses études: qu’il ait été adopté ou pas, cela ne changerait rien en sa vie ; son amour pour Henri et Nada était très haut; qu’importait le père biologique qu’il ne connaissait pas, devant le père adoptif qui le soignait et l’aimait. Un jour ce dernier fut hospitalisé et Marc-Moïse s’occupa de lui ; il conserva un échantillon de tissus biologiques pour un examen d’A.D.N. et un échantillon de lui-même ; l’ayant analysé, Moïse fut certain qu’aucun rapport commun n’existait dans les deux tissus ; il ne parut pas étonné.
Une fois les résultats des analyses, devant lui, sur son bureau il classa l’affaire et en oublia le résultat.
L’attachement à ses parents ne fit qu’augmenter.
Puis, Nada fit comprendre à Marc qu’il était arrivé à l’âge de créer une famille, d’avoir des enfants qui mettraient la vie et la chaleur dans la maison etc…
Ce devint un refrain de toujours.
Marc-Moïse enseignait maintenant à la Faculté de Médecine, dirigeait un laboratoire, soignait des maladies infectieuses dans un hôpital à Beyrouth. Son temps, était rempli. La nuit il préparait ses conférences ; il était heureux de ce train de vie ; il était devenu jeune professeur, docteur…. Il était en contact avec les jeunes. Or, un jour dans la troisième année de Médecine il se prit d’intérêt pour une jeune étudiante Joëlle. Cette dernière remarqua les attentions du professeur; voyant bien qu’elle lui plaisait, mais discrète et joyeuse, elle cachait ses vraies sentiments et son émotion. Moïse éprouvait qu’en Joëlle, c’était une âme complice qu’il admirait. Il entretenait envers elle une amitié amusée. Il aurait aimé rester dans la cafétéria de la Faculté quelques minutes avec elle; mais il ne pouvait le faire, lui qui se tenait à égale distance de tous les étudiants. Un jour cependant, après son cours, il demanda à Joëlle si elle pouvait être intéressée à assurer quelques heures par semaine dans son département: « Tu pourras acquérir une plus grande connaissance dans le domaine de la virologie et de l’infection. Curieusement, elle ne répondit pas, demandant le temps d’y penser et de savoir comment organiser ses horaires.
Qui donc était cette Joëlle ? Sa mère s’appelait Irène, une femme très belle, séduisante et très forte, mais au niveau culturel, elle était moins qu’ordinaire… Joëlle avait une sœur Stéphanie, et un frère Charles ; leur père Monsieur Halim était un riche propriétaire d’une imprimerie ; il avait épousé Irène il y avait quelque 25 ans, alors qu’elle était employée dans son imprimerie ; elle reliait des livres ; elle était persévérante, honnête, dynamique et toujours distinguée, présente et attirante.
L’imprimeur la voyant active et belle lui avait proposée de l’épouser.
En devenant épouse du patron, elle était devenue en même temps la propriétaire, la directrice et la dirigeante de l’imprimerie, une femme d’affaires très capable et, fidèle à son mari, elle lui procurait repos et amour.
Leur foyer était idéal, uni, exemplaire.
Ils avaient élevé leurs enfants, leur assuraient tout le nécessaire, l’affection, la félicité… Joëlle leur fille donc fit part à sa maman et à son père des propositions du Professeur Marc-Moïse.
Ils laissèrent à Joëlle de décider elle-même librement de ce qui lui convenait.
Au fond, les parents imaginèrent que cette proposition n’était de la part du jeune docteur qu’un moyen de se rapprocher de leur fille et que leurs sentiments devaient être partagés. Si bien que deux fois par semaine une présence à l’hôpital, comme interne ou « stagiaire » près de Moïse, s’ordonna complaisamment.
Le jeune docteur était aux anges, heureux de s’intéresser à une tierce personne autre que ses parents aimés Henri et Nada.
Nos deux chercheurs eurent tout le temps de se comprendre, de bavarder, de se raconter leurs petites histoires. Que de questions d’ordre scientifique, Joëlle n’a-t-elle pas posé à Moïse ? Passionnés tous les deux de leur carrière, ils s’activaient dans de sérieuses recherches. Le temps passait rapidement, des articles à lire, des conférences à donner, des rapports à rédiger, toujours sous l’aimable surveillance de Moïse.
Joëlle pour lui était cette poupée vivante qui remplaçait ses anciens jouets d’enfance. Il passait des heures à la caresser du regard, l’observer : ses réactions, son sourire, ses mouvements, ses cheveux, ses beaux yeux, son innocence, tout en elle était l’objet de sa curiosité ; il avait beaucoup d’ambition pour sa nouvelle collègue, sa muse, sa confidente. Quand à elle cette nouvelle amitié d’ordre professionnel évoluait en intimité, sentimentalité, fraternité ; même quand elle se trouvait ailleurs, elle téléphonait ; ce qui devint une nécessité de communiquer tous les jours, ils devenaient deux inséparables, se complétaient l’un l’autre… ils s’aimaient.
Joëlle avait une passion pour les couleurs ; les encres de l’imprimerie lui avaient souvent sali les doigts mais enflammaient son imagination; ses évasions dans les couleurs de l’arc-en-ciel résumaient les mélanges, les rapprochements, les teintes, quand elle se promenait encore petite dans l’imprimerie de son père, choyée par tous les employés et suivant avec étonnement toutes les phases de l’impression: comment avec les trois couleurs élémentaires de base en plus du noir, on obtenait d’innombrables teintes, et comment une feuille blanche se transformait en un livre portant des messages; elle avait suivi toutes les étapes, des films, des mises en page, des plaques, des tests, des impressions, des pliages, découpages, reliures, couvertures, emballages etc…
L’imprimerie de papa n’était pas loin de Harissa ; là il y avait une « ville » entière d’imprimeurs ; ils avaient de grandes commandes de partout dans le monde ; une grande technicité, un savoir faire, une propreté dans le rendu, et une main d’œuvre pas chère.
« Si tu trouves cela agréable, je suis d’accord, disait Moïse le professeur amusé, on transformera l’hôpital en une imprimerie… Les malades viendront alors ici perfectionner les techniques nouvelles et se soigneront en s’amusant », ce qui les fit sourire.
Quant à lui Moïse, la seule conversation outre les préoccupations de sa profession était ses parents Henri et Nada. Joëlle était la première et peut être l’unique étrangère avec qui il échangeait des intimités, des opinions, des projets qu’ils avaient en tête. Il parlait de ses parents le long de la journée, il vantait leur amour et leur attachement à l’enfant unique qu’il était, il disait: « j’aurais aimé avoir une sœur ou un frère pour partager tout ce bonheur dont ils m’entouraient; à l’impatience de papa et de maman de me voir près d’eux en permanence, il se sentait encore comme un petit enfant ; en réalité on ne grandit pas, on est toujours enfant par rapport à nos parents, c’est que eux vieillissaient aussi et ne s’en rendait pas compte. Le sacré temps passait et Joëlle terminait sa quatrième année pour passer en une classe supérieure et sceller son attachement à son cher professeur.
Ils ne s’étaient pas encore échangé de visites ; pourtant c’était le souhait de Moïse.
« Je peux t’inviter un jour chez nous diner ou déjeuner ; cela leur fera plaisir » dit-il un jour à Joëlle et de répondre qu’elle l’inviterait à visiter un jour l’imprimerie – « pourquoi l’imprimerie seulement et pas la maison et connaître aussi tes parents et ta famille ; tu sais Joëlle, je sens que tu me manques, j’aimerais te voir toujours à mes côtés » – et Joëlle de lui dire : « Vous visiterez l’imprimerie et la maison aussi, mais entre l’imprimerie et la maison il y a plus de 20 km à faire.
« Ecoutez professeur, dit-elle, qu’en dites-vous dans ce cas présent: Cette bactérie dans les cultures résiste aux antibiotiques et elle est dangereuse et mortelle quelquefois ? Que faut-il faire face à ces germes ?… ».
Elle était soucieuse d’apprendre, de connaitre, affamée de savoir. Elle avait approché beaucoup de malades, discuté plusieurs problèmes, analysé plusieurs cas, cette année elle serait interne et aura beaucoup plus de responsabilité à assumer. Moïse discutait, analysait et était certain que la science triomphera toujours ; pour tel cas, on peut utiliser les interférons ; ici c’est préférable et c’est plus efficace que les sulfamides ; il faut lutter, ne jamais désespérer.
Un soir, après une longue urgence chez des malades elle dût tarder à l’hôpital jusqu’à l’heure du dîner, dépassant les 8 h du soir. Le professeur Moïse proposa à Joëlle de venir chez ses propres parents tout proche et, de diner ensemble ; elle n’objecta pas et accepta cette invitation qu’elle souhaitait et attendait depuis longtemps.
Elle fut reçue avec empressement et chaleur par la maman, heureuse de voir Moïse accompagné par une belle fille. Celle-ci curieuse observa tous les objets exposés dans l’appartement de Moïse : des dessins d’enfant, son premier soulier, des jouets, des photos, des souvenirs nostalgiques, mais souvent encombrants.
« Chez moi, vous ne trouverez rien de tout cela ; oui mon père a une collection d’œuvres de maîtres qu’il garde jalousement, vous vous débarrasserez peut être de tous ces futiles objets inutiles et encombrants… ».
J’espère que vous serez mon invité la prochaine fois ; vous vous rendez compte que mon univers est simple, le vide est reposant quelquefois. Joëlle s’adressa à Nada et Henri leur demandant de ne plus gâter leur grand bébé Moïse, qu’il avait un grand soutien près d’elle dans ses études etc… et mon père sera très heureux de vous connaître.
Joëlle avait sur elle une médaille comme un porte clef où l’on voit la vierge d’un côté et de l’autre une vue de l’imprimerie en argent pur qu’on offrait à leurs clients ; elle l’offrit à Nada. En dinant, elle parlait de certains mets délicieux pour dire qu’elle s’y connaissait dans la bonne cuisine etc…
Il était bien 10 h du soir ; Joëlle avait informé son père de son retard ; elle était le point faible de son père, il ne lui refusait rien ; Irène était un peu sévère et autoritaire.
Moïse voulait l’accompagner ; elle refusa ; c’était tout près … « L’imprimerie est loin, mais la maison c’est à quelques minutes ». Moïse remarquait que Joëlle portait un grand attachement et amour à son père. La mère intelligente comme elle l’était, sentait le moindre changement dans le comportement de ses enfants; elle devinait d’avance ce qu’ils voulaient et leur ait répondait, leur épargnait les questions; oui, elle était un peu sévère et n’admettait pas les erreurs ; sa présence était humaine juste, cherchant toujours l’intérêt et le bonheur de la famille, craignant toujours tout dérapage, profitant peut être de ses expériences dans sa vie et refusant que ses enfants vivent ses expériences, car ils souffriraient.
Le temps s’écoulait toujours, et cette relation intime les plongeait dans des émotions sincères.
Ils sortaient de plus en plus ensemble, se promenaient un peu partout, me visitant quelquefois ; on passait une soirée dans un restaurant ensemble.
Jamais, ils ne s’étaient déclaré leur amour ; ils étaient amis sans plus ample déclaration. Un pas manquait ; Joëlle se demandait mais quand ce jeune docteur allait-il lui dire « je t’aime » et se jeter dans ses bras ? Il était plutôt réservé et paraissait se perdre dans un monde de rêves, il n’était pas sur terre, il vivait ailleurs. Joëlle pensa devoir l’affronter elle-même après plus de trois ans de compagnie et de vie intime et lui exprimer son attachement et son amour aussi.
Elle décida un jour de faire une sortie avec ce grand bébé timide et heureux.
Elle lui annonça ; le surprenant, vers onze du matin : Je vous invite à une sortie, une sortie pleine de surprises et d’évènements ; vous n’avez rien d’urgent; on quitte immédiatement. « Il ne sut que répondre ; il avait des réserves ; elle le prit alors par la main : « Levez-vous, ordonna-t-elle ; sinon je m’en vais toute seule et peut être avec un autre que vous ; arrêtez de faire l’ignorant ; arrêtez la naïveté ; levez vous ; je pars immédiatement; elle, était ferme et bien décidée comme une intrépide, agressive même, chose qu’il n’avait jamais expérimentée ; il ôta son tablier blanc et la suivit en silence. Nous irons en votre voiture, ordonna-t-elle ; démarrez et prenez la route direction Harissa ; le programme établi, débuter par une visite de l’imprimerie: « Ne désirez-vous pas voir où je me suis épanouie ? parmi les machines, les offsets, les ouvriers avec qui je jouais ? qui m’entourait ? la suite viendra après ».
Il obéit et démarra – la route était agréable ; Joëlle lui caressa la joue lui disant de conduire calmement et attentivement.
Il n’avait jamais senti une main le caresser que celle de sa mère Nada ; il trouva que c’était agréable ; mais il n’osait dire un mot, que se passait-t-il en son intérieur ? à quoi pensait-il ?
Il fut réveillé par la main de Joëlle passée sur son cou et lui effleurant les oreilles : « Eh, Dr. Moïse, bifurquez par là et arrêtez-vous dans ce parking », obéissance totale. Un parking où se trouvaient plus de 50 voitures ; le valet-parking voyant Joëlle, sa patronne, accourut prendre la voiture en charge – L’imprimerie, une bâtisse de plus de quatre étages, avec un sous-sol, des dépôts etc… aussi grande que l’hôpital et Joëlle de lui dire « pourquoi ne transformerions nous pas l’imprimerie en hôpital ? » Il comprit que c’était là une réponse à sa question il y avait plus de deux ans : de transformer l’hôpital en une imprimerie. Il sourit sans mot dire.
Tout le personnel accueillait Dr. Joëlle avec fièvre; d’un compartiment à un autre, d’une machine à un atelier, d’étage en étage elle lui expliquait tous les secrets de son métier, et ceux de son vieux père ; elle les maitrisait parfaitement.
Au bout de plus d’une heure à visiter les lieux, ils arrivent enfin à la direction où se trouvait son père Halim ; celui-ci se précipita bras ouvert accueillant Moïse le Patron de Joëlle et l’invitant à prendre place ; il leur dit qu’il les avait suivis sur les écrans depuis leur rentrée au parking, et pendant la visite de l’imprimerie, et qu’il n’avait pas voulu intervenir pour ne pas interrompre le charme de la visite.
En scrutant Dr. Moïse, il découvrit en ce jeune docteur l’intellectuel au large front, l’idéaliste et le sérieux chercheur ; il sentait aussi en lui l’innocence encore enfantine et l’élégance, la bonne éducation, mais aussi une certaine réserve et rêverie.
Moïse, lui, n’entendait presque rien en ce nouveau monde, il souriait, il sentait encore la main soyeuse de Joëlle sur sa joue, son cou, son oreille.
Halim les invita à déjeuner dans un restaurant sur les hauteurs. Joëlle refusa, préférant déjeuner à la maison et présenter ainsi sa mère Irène à Moïse.
On aurait dit que le coup préparé entre Joëlle et Irène ; mais non, c’était naturel, les choses se succédaient simplement.
Halim, Moïse et Joëlle montèrent dans une seule voiture ; à la demande de Halim un autre conducteur prit la voiture de Moïse en charge. En une vingtaine de minutes ils arrivèrent à la résidence de Halim où Madame Irène les attendait. Elle avait demandé à sa servante de ne pas courir ouvrir la porte: « C’est moi qui irai ouvrir et recevoir sur le seuil de l’entrée notre invité le professeur de Joëlle, cet illustre Docteur dont on attendait la visite depuis plus de trois ans ».
Enfin, elle les voit se garer du balcon, ce sont bien eux, Halim , Joëlle et Dr. Moïse.
On sonna, elle était déjà prête à quelques mètres de la porte, elle cria (pour annoncer sa présence) : « J’arrive ! ». Halim et Joëlle cédèrent place pour que Moïse entre le premier ; ouvrant la porte, madame Irène devant Moïse, resta sidérée. Que se passe-t-il, les paroles lui échappent, étonnée, elle s’est comme trouvée dans un autre monde sans le vouloir et sans en connaître les causes.
L’incident ne dura que quelques secondes : ce qui se passa dans l’inconscient était comme l’éclair. Joëlle demandant, « mais qu’as-tu maman ? que se passe-t-il ? tu sens le moindre mal ? fatigue ? ».
Madame Irène reprit conscience, sourit et invita Moïse qui lui aussi était surpris ; il s’inquiéta en tant que médecin, maladroitement, et invita Joëlle à vérifier la tension de sa maman, de la surveiller de près. Une grande réception attendait Moïse.
Un déjeuner était offert, toute la famille y était, Charles et Stéphanie aussi; la présence était animée et vivante ; on riait, on bavardait etc… sauf madame Irène, qui planait dans un autre monde ; des souvenirs venus de loin, très loin, de l’oubli, l’avaient bouleversée et elle cherchait à se maitriser, malgré elle.
Halim se disait : Moïse serait en effet en excellent prétendant pour Joëlle ; ils formeraient un couple bien assorti.
Joelle était attentionnée et Moïse devait être intéressé par elle ; bref que de bavardages.
Cette première visite avait été très positive, d’autres suivraient.
Quand Moïse venait, accompagnant Joëlle, Irène se voyait troublée, égarée, embarrassée ; elle perdait la continuité dans les idées et les paroles, elle ne savait comment accueillir ce jeune médecin qui se demandait si Irène ayant dépassé les cinquante années, était aussi amoureuse de lui, elle était toujours séduisante belle, séductrice, comme le bon vin qui gagne sa richesse en vieillissant.
Joëlle pensa demander à sa maman : « que se passe-t-il quand tu es en face de Moïse ? Tu deviens une autre, gauche, hésitante, comme si tu avais des regrets des hésitations ? comme si tu cherchais quelqu’un de perdu d’oublié ? Devant Moïse tu te transformes en une poule mouillée, toi si autoritaire, si capable, si présente ».
Les évènements se suivaient et nous vînmes vers la mi-juillet, Irène annonça qu’elle réservait une grande surprise dans deux ou trois semaines. Comme toujours, elle était embarrassée en présence du professeur Moïse ; elle l’attendait avec un sentiment mal défini ; elle était inquiète et comme perdue. Halim déjà âgé, fatigué somnolait devant la T.V. Joëlle se demandait quelle serait la surprise.
Le six Août était l’anniversaire de Charles son frère unique ; elle préféra ne rien dire par respect pour le secret de sa mère.
Cette dernière, vers le début Août annonça une grande invitation pour le 6. Moïse, sa maman et son papa étaient les premiers invités. Le jour prévu arrive les invités nombreux ; à leur tête Henri et Nada heureux d’être près de Moïse et de Joëlle. En dinant, la maman de Moïse, Nada, laisse tomber : « Ah si j’avais su que c’était un anniversaire, l’anniversaire de Moïse était il y a deux jours, le 3 de ce mois ; on a célébré cette petite fête très intimement à trois, Henri étant fatigué et moi aussi ».
La maman de Joëlle, en entendant ce mot « 3 Août » eut comme un coup subit de vertige, comme un malaise qui l’aurait atteinte. Elle ne pouvait plus se contenir et de crainte de commettre la moindre faute, elle se retira discrètement dans le jardin ; elle appela l’un des chauffeurs et lui demanda de la transporter dans son bureau à l’imprimerie à 20 minutes de la maison pour une affaire urgente et de l’attendre ; elle avait téléphoné de sa chambre à deux avocats de la Société de la rejoindre en urgence ; il était 10 h la nuit. Arrivés presque ensemble, elle leur ordonna ce qui suit : « à partir de cet instant, je vous interdis de dormir ; dans la plus grande discrétion, vous allez faire une investigation au sujet de deux personnes ; vous pouvez employer des détectives, je désire tout savoir, absolument tout, sans rien omettre sur les origines, date de naissance, mariage, vie, enfant, amis, relations, maison, fortune, école de leur enfant, leur médecin et gynécologue, voitures, etc… les deux personnes sont Henri et Nada, etc…
Les ordres d’Irène étaient des ordres à exécuter ; elle était capable de rompre un contrat, de donner des bonus et d’agir ; autoritaire, elle savait ce qu’elle voulait. Il était bien 11h 30 de la nuit quand elle réapparut parmi les convives ; elle s’excusa par ce mensonge : on l’avait appelée d’urgence, un ouvrier s’était électrocuté elle avait dû s’en occuper et prévenir sa famille que tout était redevenu calme, point de soucis ; en cette période, l’imprimerie fonctionnait à plein temps vu les commandes.
« Je suis très heureuse que vous soyez venus pour l’anniversaire de Charles ». On coupa le gâteau. Joëlle s’approcha de sa mère et lui chuchota dans l’oreille ; Maman, je te connais très bien ; maintenant, tu nous as menti ; elle se doutait de quelque chose autre ; l’attitude de sa mère l’intriguait, et Irène de répondre : « Tais-toi ; plus tard, je t’expliquerai. Si tu aimes ta mère, ne me pose aucune question : toute la richesse du monde est vaine ; mon autorité est comme nulle et passagère : je crois que j’ai été imprudente quelque part en un certain temps de ma vie passée ; ne me pose pas de questions ; je ne peux te donner de réponses ; par respect et amour pour ton père et ta mère, va te reposer. Je t’aime ma petite ».
Le lendemain, la vie avait repris, et Joëlle de demander à son professeur: Mais pourquoi n’avez-vous rien dit à propos de votre fête ; nous l’aurions célébrée ensemble !.. ».
Le jeune docteur aimait voir Joëlle à ses côtés ; toutes ces cérémonies ne lui disaient rien ; lui non plus n’avait pas compris la brusque absence prolongée d’Irène durant le repas, il se demandait si Irène ne vivait pas un problème sentimental comme le sien ? si elle était amoureuse ? cette femme solide, maîtresse de maison, d’un certain âge qui avait été heureuse de le recevoir. Elle s’est peut être mal conduite ? » Il en devenait muet.
Entretemps, le lendemain, les détectives et avocats avaient mis au point le dossier demandé. Le père de Joëlle fatigué, restait souvent chez lui à la maison.
Sa femme était dans son bureau parcourait le rapport : en résumé Henri et Nada etc… mariés, au bout de dix ans de mariage, de soins, Nada reconnue stérile d’après le gynécologue… ; leur fils était un adopté ; ils l’avaient acquis le 6 Août chez les religieuses de la charité à Zouk ; il avait alors deux à trois jours d’âge. Ils avaient donné une somme à la religieuse qui leur avait procuré le dossier demandé…
Henri était ingénieur, Nada infirmière ; ils avaient adoré le petit nommé Moïse et baptisé… ». Là, Irène arrêta de lire…
La preuve était là ; c’était son cœur qui le disait ; pas seulement les rapports et les investigations ; plus de doute Marc-Moise était l’enfant qu’elle avait abandonné il y a bientôt trente ans chez les religieuses Lazaristes.
Elle entreprit d’agir, rapidement ; elle qui avait toujours maitrisé toute situation.
Elle remercia ses détectives, fit une photocopie du dossier prit le téléphone et appela le jeune docteur lui demandant de la rejoindre au plus vite à l’imprimerie sans en prévenir Joëlle.
Trente minutes plus tard Moise arrivait tout étonné : « Que se passe t’il ?… ».
Irène dans le bureau lui demanda de fermer la porte à clef et elle était là debout en larmes, pleurant et lui demandait d’approcher ; elle prit Marc-Moïse dans ses bras : mon enfant, tu es mon cher enfant… ».
Lui, qui savait qu’il avait été adopté, commença à comprendre ; il trembla sous le choc.
Irène lui demanda de s’asseoir, lui présenta le rapport des détectives et lui remit la copie ajoutant : « Tu peux poursuivre le tien en recherchant l’A.D.N.. Elle lui raconta en bref sa vie, ses malheurs, sa pauvreté avec son père qui se droguait, et qui était décédé entre temps…
« Seule, je dus me refugier en cette imprimerie ; le patron Halim m’a aimée et aidée et m’a épousée, il a fait de moi une vraie femme etc. ». Moise troublé, abasourdi, était en moiteur mais bientôt se trouva en admiration devant sa vraie mère.
Il embrassa Irène lui disant qu’il savait qu’il était adopté, mais par respect pour Henri et Nada, et par amour, il ne dirait jamais un mot et n’aurait que de bonnes relations avec cette autre famille, celle de Irène de Halim.
Ils durent penser comment agir avec Joëlle dont il était amoureux et qui devenait sa sœur, sa demie sœur.
« Laissez moi faire », dit-il à Irène ; il l’embrassa.
On frappa à la porte: c’était Joëlle, qui voyant Moïse en état d’émotion près de Irène, devint toute inquiète… et Irène de lui dire : « Sors avec Moïse ; il t’expliquera. Et ne dis plus un mot ». Joëlle assit près de Moïse dans sa voiture. Moïse la supplia de ne pas prononcer un mot en sa voiture, qu’il souffrait à en mourir.
Arrivés à l’hôpital, il dit à Joëlle toute la vérité : « Ma demie sœur nous allons être plus près l’un de l’autre ; nous sommes unis par des liens du sang, je m’occuperai de toi, et je t’aimerai toujours ; mais de grâce, Joëlle comprends : « accepterais-tu de te marier avec Charles ? Je suis ton frère aussi… ». La Providence et grâce à l’intelligence et au 6ème sens d’Irène nous a sauvés. Lis ce rapport – tout est vrai ; prends demain un échantillon, souche du sang d’Irène occupe toi de l’analyse de l’ADN, voici le mien, tu réalises ces examens à Paris en tel laboratoire… Ma chère petite sœur, jure que tu me continueras les mêmes sentiments, etc… ». Ils en sourirent, puis s’embrassèrent gentiment, la vie prenait un nouveau sens, c’était bien, le secret restera entre nous, biologiste maintenant, ca n’eût peut-être pas été bien grave. Mais à présent, il vaut mieux que je t’invite à mon futur mariage et que tu m’invites au tien. On rira bien autour de notre commune maman Irène. Les autres, ils diront: “Qu’est ce qu’ils ont ces trois là.
Une semaine s’écoula et l’A.D.N. confirma la consanguinité de Marc-Moïse et de Joëlle.
C’est le jeune docteur Moïse durant une visite amicale qui me raconta cette histoire : « J’ai failli me marier avec ma sœur », me dit-il. Sa demie sœur était en sa compagnie ; il vint par la suite m’inviter au mariage de Joëlle dont il serait le témoin ; une année s’était passée ou presque; Joëlle était en robe de mariée à l’église Notre Dame, elle s’unissait à un jeune chirurgien de sa promotion.
Moïse partagea désormais son existence entre les deux maisons, celle de Nada et celle d’Irène.
Joseph Matar
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