Roumana
Toute sorte de congrégations religieuses ont leurs établissements au Liban dont la Sainte Famille Française.
Toutes ces congrégations ont été un facteur vital dans l’évolution de la connaissance, de la culture, du progrès et du développement, à un tel point que beaucoup d’étudiants qui étaient avec nous à l’école et formaient une majorité, étaient de nationalités différentes, Jordaniens, Syriens, Irakiens, etc… et des pays de l’émigration d’Afrique etc…
Quand on parlait du Liban, le comparant à un phare en ce Moyen Orient, c’était vrai. Il y eut au Liban des congrégations locales ; parallèles à celle des Occidentales, telle celles de la Sainte Famille, des dominicains, … la Sainte Famille Maronite…
Quelle idée de dire la Sainte Famille Française ou libanaise ou Indienne ? Peut-on donner une nationalité à la Sainte Famille Céleste ?
A Marie, l’immaculée, à Jésus notre Créateur, à Saint Joseph ce chaste et pur charpentier ? bien sûr qu’il s’agit d’un appel à leur protection et à leur exemple. Mais les nommer par le pays d’où elles sont issues, non; le symbole de la Sainte Famille réelle, celle de l’Evangile, évoque l’union, l’amour, le sacrifice, l’idéal… le travail, la prière, la fidélité…
S’inscrire dans de pareilles écoles suppose se plier aux règlements de la fondation et respecter leurs lois, mode de vie, conception, horaire, programmes etc…
De leur côté, les établissements se doivent de respecter la particularité de chaque étudiant… L’exemple : les étudiants musulmans y faisaient librement leur prière qu’on respectait ; de même les étudiants protestants etc… on ne touchait pas à la croyance, la foi, l’idéologie religieuse.
Tous les étudiants étaient soumis à la même discipline sans discrimination, à l’ordre, au travail scolaire etc…
L’on dit : ‘Hiver et été ne peuvent exister ensemble sur le même toit.’
Nous formions une famille, nous étions de vrais camarades et amis autour d’une même culture respectueuse des idéaux moraux.
L’Ecole de la Sainte Famille Française était en plein centre de Jounieh, à une centaine de mètres de la plage, entourée de palmiers et d’arbres géants les ‘gémmaizés’ ou sycomores…
La verte nature et les forêts s’étendaient depuis la plage jusqu’au sommet de la montagne où trône toujours le monument dédié à Notre Dame de Harissa.
Il n’y avait pas d’autocars scolaires ; on venait à l’école à pied ; quelle agréable promenade !…
Pour les externes résidant près de l’école, il n’y avait pas de problème ; pour les étrangers ou les venus de loin, il y avait l’internat…
Les parents venaient chaque deux ou trois semaines voir leurs enfants ; les émigrés d’Afrique ou d’Amérique venaient une fois l’an ou les deux ans. Ils étaient tranquilles de voir leurs progénitures en de bonnes mains.
En cette école de Jounieh, vivait une jeune religieuse espagnole d’une grande beauté et amabilité ; elle prononçait les s et les j en accent castillan. Une religieuse issue de la péninsule où vécurent Velasquez, Goya, Murillo, el Greco, Ribera etc…
Elle ne pouvait être indifférente aux Beaux Arts ; elle était passionnée de dessin et de peinture. Elle avait un atelier à l’école où elle enseignait ses nombreuses élèves.
Je l’avais croisée dans plusieurs expositions ; elle attirait mon attention ; j’étais en admiration devant cette sereine beauté, toujours gaie, vivante, captivante… Jusqu’au jour où elle est venue à l’une de mes expositions accompagnée d’un petit groupe de filles ; on comprend bien que c’étaient ses élèves.
On fait connaissance et sachant que je résidais à Jounieh non loin de leur école, on s’est invités à échanger des visites, et sachant que j’avais été en Espagne, à Madrid et que je parlais sa langue, elle fut enthousiasmée. Ses élèves de treize à seize ans étaient silencieuses, écoutant notre conversation. L’une de ces élèves se distinguait par une présence remarquable ; elle ne pouvait passer inaperçue ; d’ailleurs ses copines étaient quelque peu à ses soins.
Je sentis qu’elle était un peu favorite de la religieuse. Quand j’échangeai quelques phrases en Castillan, elles se regardèrent avec un air d’étonnement et de curiosité.
La brave religieuse qui devait se soumettre à l’ordre et aux exigences de la communauté (lever de bon matin, prières, messes, etc…) et tous les devoirs monastiques en plus de ses activités scolaires, et son atelier de peintures, fait qu’elle était prise toute la journée…
Or voilà qu’une après-midi, la brave religieuse se pointa avec un groupe d’élèves qui ‘prenaient des leçons de peintures’ par fantaisie le plus souvent, comme les leçons de piano ou de ballet… un luxe souvent pour la façade.
Jadis, les jeunes filles se mariaient jeunes au Liban ; à partir de dix sept ans ; c’est-à-dire que beaucoup d’entre elles n’achevaient pas leurs études universitaires pour se marier.
Je me souviens qu’en 1964-1965, à l’école des Beaux Arts, il n’y avait même pas dix pour cent d’élèves féminines, ce qui n’est plus le cas. Actuellement plus de 70 pour cent des étudiants appartiennent au sexe des fées et le nombre des garçons a régressé durant les événements, d’ailleurs dans tous les secteurs ; enseignement, banques, médecins, assurances etc… nous voici à l’ère des femmes maintenant de plus en plus.
Chez sœur Florencia, il y avait chaque année de nouvelles figures. J’allai plus d’une fois visiter la religieuse dans son pensionnat. Je corrigeais les œuvres des élèves et de leur maîtresse sœur Florencia, l’ambiance était familiale.
Parmi ses élèves, donc il y avait cette jeune fille hors du commun ; une chaleureuse beauté, brunette aux yeux verts, beaucoup de charme, élégante, seins bien formés, hanches bien remplies, système osseux solide, cheveux noirs et longs ; en un mot elle plaisait ; son sourire ensorcelant des mouvements élégants, une belle fille, gâtée, choyée, parfumée, des habits signés, des bijoux ; elle vivait à l’aise; on lui assurait tout le luxe, le faste.
Les étudiantes qui l’entouraient avaient pour elle une grande amitié faite d’un peu de pitié et d’admiration à la fois. Elle était la favorite de sœur Félicia, on Florencia (elle portait deux noms).
La brave religieuse me la recommanda, me demandant de l’aider ; elle avait beaucoup de talent et était très studieuse. Elle était peut-être la seule de ces jeunes qui envisageait une carrière artistique.
Elle s’appelait Roumana. Je la sympathisais et j’étais pour elle un ami. Elle était pensionnaire l’hiver et l’été, c’est-à-dire les quatre saisons.
L’été, elle passait ses vacances chez des religieuses à Rayfoun dans la haute montagne. Là, pour me recevoir, il lui fallait l’autorisation de la supérieure. On peignait sous les arbres d’un parc près du couvent. Je corrigeais ses œuvres, je l’aidais bénévolement, elle aimait mes enfants et leur faisait souvent de précieux cadeaux.
Le baccalauréat terminé, elle s’inscrit à l’Université Américaine pour des études de business, d’administrations, d’affaires…. Elle me rejoignait sur rendez-vous chez ma sœur à Beyrouth pour des séances de travail.
Revenant un peu à l’école où les étudiantes chuchotaient entre elles : Roumana ne connaissait pas encore son père…Ou son père et sa mère étaient divorcée, ou paroles de commères, mais toutes aimaient Roumana et vivaient près d’elle.
De fait, jusqu’à cette date, Roumana ne connaissait pas son père. C’est sa charmante et courageuse mère qui occupait un poste important au Koweit, assez riche et très généreuse, qui consacrait toute sa vie, son existence, pour le bonheur de sa petite Roumana.
Elle déjeunait quelques fois chez nous ; une grande amitié, intimité, parenté… étaient nées entre nous, elle nous considérait comme ses parents. Jamais je ne lui ai posé une question se rapportant à sa mère, ou son père, ou ses oncles maternels qui étaient Libanais et pas loin d’ici. C’est elle plutôt qui me racontait ce qu’elle pensait faire; je comprenais ses états d’âmes, ses inquiétudes, ses ambitions, ses désirs, son obstination, ses décisions…. Pour une grande idée: elle voulait à tout prix retrouver ce père égaré, le connaître ; elle refusait l’idée d’être un simple enfant biologique… surtout que sa mère lui avait raconté toute son histoire et son amour avec son papa ; ils s’étaient aimés follement, sincèrement, avec passion et soudain le père avait disparu sans laisser de trace. Avait-il voyagé en France ? Quelque part ailleurs en Europe ?
La maman de Roumana que j’ai connue plus tard, était un être merveilleux, gracieux, beaucoup de cœur, sentimentale et belle aussi…. Plus de nouvelles du père ; elle connaissait ses coordonnés, son identité… Une fois l’enfant née et ç’avait été une petite fille, belle comme l’aurore, … la maman ayant beaucoup de charisme lutta et affronta courageusement la situation, jusqu’au jour où elle s’assura un bon poste dans les Emirats. Une grande société l’avait embauchée et un avenir prometteur aussi ; quant à la petite, elle fut inscrite et prise en charge dans un internat, elle fut très bien traitée, elle fut l’objet de l’attention des religieuses et des éducateurs. C’est que la maman comblait les responsables par les cadeaux ; l’argent pour elle n’avait aucune valeur, elle dépensait généreusement pour être au service de la petite et lui assurer toutes les nécessités, l’amour, la tendresse.
Elle venait de temps à autre au Liban pour être près de Roumana, ou elle l’emmenait chez elle pour passer les jours de courtes vacances. Que peut faire de mieux une maman ? Elle se sacrifiait pour sa petite. Roumana passa son enfance dans les pensionnats, couvents, écoles, parmi les religieuses. Sa vie privée débuta réellement avec l’Université Américaine de Beyrouth.
Ambitieuse, elle voulait s’affirmer et exprimer tout ce qu’elle avait en son âme, tout ce qui lui rongeait le cœur. Elle me parlait souvent de sa maman qui remplissait la vie ; elle était capable de créer une œuvre, de composer, de structurer, de construire ; elle savait manipuler les couleurs, les harmoniser, elle avait bien assimilé sa grammaire picturale : et les leçons que je lui avais données ; elle s’attaquait à des paysages, des perspectives, des natures mortes, des compositions de fleurs, de portraits… elle était sur le bon chemin ; elle avait déjà réalisé plusieurs dizaines d’œuvres très valables ; elle voulait continuer à être étudiante, apprendre d’avantage, se plier devant les recherches, accumuler les connaissances. L’expérience, la peinture, le dessin l’occupaient, la passionnaient.
Elle venait souvent, des fins de semaines à Jounieh ou à la montagne où nous estivions, me montrer ce qu’elle réalisait ou se mettre à peindre et à dessiner dans mon atelier.
Je l’avais présentée à mes amis peintres, Onsi et Wehbé ; elle s’était intégrée dans notre univers, ou elle me rejoignait à Beyrouth chez ma sœur pour me montrer ses travaux; de la sorte je lui épargnais les trajets entre Jounieh et la capitale.
A Faraya, en fin de semaine, elle dormait chez nous, profitant des vues panoramiques, des coins pittoresques, de toute la nature lumineuse pour peindre…
Au fond, cependant, une seule idée fixe la tourmentait : retrouver son père… Elle voyageait souvent en France, d’un coin à l’autre, avec ce qu’elle avait comme coordonnées. Rien qu’à regarder ses beaux yeux, je saisissais son expression et je savais ce qu’elle voulait exprimer avec son triste sourire ; elle exprimait une identité complète comme l’étendard flottant sur la façade derrière lequel se déploie toute une armée.
A l’AUB elle avait beaucoup d’amis, de connaissances, de sympathisants, elle était un être qui impose son amour et devant qui on ne peut être indifférent. Sa générosité, son cœur étaient grands. A Roumana on ne pouvait pas dire non ; on lui accordait tout ce qu’elle demandait. Elle me racontait qu’elle était à la recherche de son père et que bientôt elle le retrouverait. Un père qui aura été inutile pour elle et qui aura dans un certain sens ruiné les sentiments de l’être merveilleux qu’était sa maman.
Or on décida d’organiser une exposition de ses œuvres à l’hôtel Carlton où se trouvait une grande salle pour les activités artistiques.
L’exposition fut une grande réussite et eut beaucoup d’écho dans la presse et les médias. Avec les photos de Roumana dans les unes des journaux et revues… Elle fut très heureuse et redoubla ses activités. On se rencontrait une fois la semaine, elle était obsédée par le même désir de connaître toute la vérité et de rencontrer son père.
Elle prenait souvent l’avion et se déplaçait sans problème; elle voulait atteindre ce but. Elle me raconta enfin un jour qu’elle revenait de Rome en Italie et qu’elle avait pu enfin rejoindre, connaître et voir son père. Je m’imaginai quel face à face avait dû être avec cette présence toujours absente et toutes les réactions des deux côtés.
Le père s’était remarié et avait une famille, des enfants, presque de son âge à elle.
S’était-il imaginé un jour que sa fille, une élégante mademoiselle l’affronterait aimablement ? s’était-il imaginé qu’il avait laissé au Liban cette petite fille et une mère malheureuse ? Il y avait de cela plus de vingt ans. Que s’était-il passé entre eux ? S’était-il jeté à ses genoux lui demandant pardon ? Se sont-ils embrassés ? Ont-ils pleuré ? Qu’a-t-il dit à sa fille en admiration devant Roumana, il l’observait ; son attitude noble, les traits en commun qui lui ressemblaient… Après vingt ans d’oubli… quel regrets, excuses, remords ? qu’a-t-il dit ?
J’ai su qu’il proposa à Roumana de rester vivre avec eux, dans sa famille, qu’il était prêt à retourner pleurnicher sur les pieds de sa fée libanaise, sa dulcinée.
Il était déjà assez âgé. Il affronta le refus total de Roumana. ‘Tu resteras au près de ta famille, ton épouse, tes enfants, lui a-t-elle dit et tu oublieras ma mère à jamais’.
Une séparation presque un quart de siècle! On devient autre ; tu ne pourras jamais récupérer le temps passé.
Roumana passa quelques jours à Rome avec ses sœurs et frères, sa belle mère et son papa; elle lia avec eux une amitié familiale. Puisqu’elle portait le nom de son père, et que le pardon est un acte d’héroïsme et qu’elle n’avait aucune rancœur. Une nouvelle page a débuté en sa vie.
N’a-t-on présenté à La Fontaine dans une réception son propre fils qu’il n’avait jamais vu, comme si rien n’était?
Elle m’assura que ‘toi cher maître et ami tu es plus près de moi que mon père biologique. Je ferai tout pour être au service de maman qui m’a tant aimée’.
Roumana téléphonait, venait nous voir souvent accompagnée, quelquefois par son ami ‘Rafi’. Elle me raconta un jour qu’elle souhaiterait créer des dessins pour bijouterie, un domaine très intéressant et qui la captivait ; d’ailleurs pour ses précieux cadeaux : ils s’étaient toujours choisis dans les bijouteries. Un monde qui lui était commun. Je l’ai encouragée. Ses études terminées à l’AUB, elle occupa un poste important : secrétaire d’un des plus puissants ambassadeurs à Beyrouth. Elle occupa ce poste jusqu’au début des années 73-74. Elle venait de moins en moins chez nous, souvent avec des amis.
A plusieurs reprises elle m’avoua qu’elle voulait présenter sa démission et quitter le Liban pour le Koweit près de sa mère. Je lui déconseillai de laisser un poste si bien avec un bon traitement, ‘tu ne pourras jamais trouver un poste pareil’ et elle de me répéter toujours : ‘cher ami je ne peux rien te dire, mais depuis longtemps circulent entre mes mains des documents qui annoncent la prochaine destruction et l’enflammassions du Liban. Explosion de tout le pays etc… Je ne peux rien te préciser, c’est ma sensation. (Secrets diplomatiques).
Elle voyagea au Koweit chez sa mère, avec son CV et ses capacités; elle fut immédiatement engagée dans une grande compagnie pétrolière, mieux payée qu’au Liban. Elle m’écrivait, des cartes postales ; quand elle passait au Liban, elle nous contactait, me racontant qu’elle allait poursuivre un stage en Europe pour ses activités dans le domaine de la bijouterie.
Elle avait déjà réalisé plusieurs colliers, bracelets… tous signés et bien placés dans les vitrines des bijouteries… de me répéter souvent que le Liban serait transformé en feu, flamme et destruction, une guerre des plus meurtrière.
Or, au début de l’année 75, un ancien instituteur qui avait enseigné chez les maristes, me contacta insistant, me demandant de l’emmener chez ‘Dr. Dahéch’ que je connaissais très bien, et qui était un ami (Dr. Dahéch était très connu comme adepte du spiritisme, ce domaine là m’était indifférent).
Je venais sans rendez-vous, on m’ouvrait et on m’annonçait. C’était urgent. Le lendemain j’arrivai à la rue Kantari où se trouvait le domicile du Dr. Dahech, je me présentai sans rendez-vous. A peine je fus annoncé, on m’ouvrit, je fus reçu dans le grand salon, je n’avais rien demandé à mon maître de la classe 9ème , c’est-à-dire d’il y avait plus de 40 ans ; tout ce qu’il m’avait dit : ‘c’est pour une affaire importante et personnelle’.
Arrive enfin le docteur ; il nous reçoit chaleureusement et avant que je présente mon ami, il s’adresse à lui, lui-même lui demandant de se diriger vers la bibliothèque, de choisir un livre, de l’ouvrir à telle page et de retirer une feuille qui s’y trouvait. Il obéit, il retira la feuille, et le docteur de lui dire: « lis à haute voix ce qui est écrit : ‘tel jour, à telle heure, date… M. Joseph Matar et son ami, viendront me voir pour telle affaire… concernant …et qui …et que…’.
Les cheveux de mon ancien maître se sont redressés et blanchis ; il était ahuri et décomposé. Il parla avec le docteur avec qui il convint d’ un autre jour pour régler l’affaire en question ; ‘une affaire spirituelle’. Pour moi, je ne croyais pas à ces choses de spiritisme et du monde des esprits… bref. La question n’était pas ici ; ce fut d’ailleurs ma dernière visite à l’illustre docteur. La maison était retournée de fond en comble, des caisses de bois chargées de livres, des tapis roulés, des colis etc… tout annonçait un départ, un déménagement. A ma demande : ‘mais qu’est-ce qui se passe chez vous Docteur ? et ce dernier de me répondre : ‘le Liban va exploser ; une destruction terrible, des massacres, des guerres, des terroristes etc… je ne peux plus rester ici, je sauve cette grande collection et richesse, et fortune, je déménage aux USA pour toujours, je ne reviendrai plus ici, les événements dureront longtemps et personne ne sera épargné.
D’ailleurs l’homme d’Etat qui était Raymond Eddé, leader chrétien et mon ami, parlait de ‘Chyprianisation du Liban’. Pour résumer j’ai pensé à ce que Roumana m’avait dit il y avait longtemps. Mon ancien maître était assis près de moi, pensif dans un autre monde. J’ai su plus tard qu’il sera allé revoir Dr. Dahech avec sa fille pour un problème personnel.
Le pays s’est effectivement enflammé pour plus de 20 ans (1975 – 1992) Une guerre des plus meurtrières, stupides, et criminelles, un théâtre d’expérimentation pour les pays d’Occident hypocrites.
En 1981, je reçus une invitation pour une exposition et deux conférences au Koweït par le ministère de la culture (le conseil supérieur de la culture) grâce à un ami que j’avais rencontré dans le jardin de Luxembourg à Paris, rentrant de l’Amérique vers le vieux continent. Un certain ingénieur et économiste qui rentrait de Harvard pour se diriger au Koweit où il avait été nommé Doyen de la Faculté d’économie.
Je traversais le jardin de Luxembourg, je vis quelqu’un lisant un journal libanais assis sur un banc ; je m’assis près de lui, car il m’avait salué et il me dit : « je t’ai vu au foyer libanais à la rue d’ULM »; il m’a raconté qu’il avait étudié l’Ingénierie pour faire plaisir à son père et qu’il avait fait ensuite la carrière qu’il aimait: l’économie. Il s’appelait Antoine, de la région de Koura, on se revit à plusieurs reprises, et une connaissance amicale nous lia; il me promit de me visiter au Liban ! De retour et avant de voyager au Koweït, il vint à Jounieh passer une journée chez nous et me proposa l’idée d’exposer au Koweït. Quelques semaines passèrent ; je reçu une invitation du ministère de l’éducation pour ce voyage, patronné par le conseil, en première classe, gratuit, invitations, etc… C’était en mai 1981. Je me préparai pour ce voyage inscrivant sur un carnet les coordonnées de mes amis dans l’Emirat, entre autre Roumana. Cette dernière considéra cette exposition comme la sienne, elle et sa maman et leurs amis vinrent nombreux à l’inauguration ; elle me vendit plusieurs œuvres et pour m’honorer, elle et sa mère avaient organisé un diner digne des mille et une nuits, un grand faste et générosité, rien qu’à voir la table des fruits des quatre saisons, pourtant dans ce désert il n’y a ni jardins fruitiers, ni vergers, ni potagers… Ce sont les avions qui transportent de tous les coins du monde ce qu’il y a de meilleur et de plus frais.
Toute la classe VIP était là pour faire plaisir à Roumana ; elle me présentait comme son professeur. Ce fut une très belle soirée.
Je rencontrai la fille et la mère plus d’une fois ; je l’encourageai à reprendre ses activités dans le domaine de l’art. Depuis, la situation s’est dégradée ; j’ai vu Roumana de moins en moins, elle, qui me liait à elle un certain rapport spirituel ; elle avait été la marraine de ma fille Madona.
J’ai imaginai qu’elle avait quitté l’Emirat après tant d’événements pour s’installer en France ou en Italie, réalisant son rêve dans la création des bijoux et apparats.
J’ai su qu’elle avait une boutique où elle exposait ses œuvres.
Adieu la peinture et sœur Florencia qui elle, quitta le Liban définitivement pour rentrer en Espagne en 1990.
J’ai su aussi que sa maman était rentrée au Liban, dans sa retraite et s’était installée dans un coin de la montagne son fief natal.
Invité à une réception chez Lady Cockraine Sursok à Achrafieh, Marina m’accompagnait : « regarde me dit-elle en sortant, c’est Roumana à tes côtés, « qui ? », je regarde fixant la personne ; c’était toujours elle aux yeux verts et le même sourire ; sa figure n’avait pas changé mais on sentait l’âge approcher ; elle me donna ses coordonnées, téléphone, adresse, m’invitant à passer la voir, qu’elle avait une boutique dans un chic quartier de Beyrouth et qu’elle réalisait ses rêves.
C’est tout. S’était-elle mariée ? Avait-elle des enfants ? Qui est son époux ? Ses amours ?… rien de tout cela. Très peu curieux, je n’ai pas posé des questions qui peuvent éveiller la nostalgie de certaines périodes. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Mais reste une page de soleil des plus lumineux dans ma vie.
Joseph Matar
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