Sur les pas de St. Paul
C’était en 1990 fin des belligérances au Liban et retour au calme ; le va et vient quotidien était revenu, plus de barrages, d’obstacles, de mêlées armées.
Mon gendre, l’époux de Marina, Selim, venait de s’engager dans une grande entreprise chez les Pères « Capucins » de Tripoli, restauration et aménagement d’une ancienne bâtisse et construction d’un ensemble d’une quarantaine d’appartements, pas vraiment des H.L.M. mais des maisons confortables afin que la communauté chrétienne puisse y habiter ; si quelqu’un voulait se marier et n’ayant pas de demeure etc…, on lui vendait un appartement à crédit, sans intérêt à une très longue échéance.
Selim me demanda de l’accompagner un jour, me disant que le Père Supérieur du couvent lançait une invitation à tous ceux qui travaillent dans ce chantier…
Arrivé à Tripoli, j’ai connu le Père Supérieur, le couvent, etc… ce n’était pas loin de la mer.
Attira mon attention une ancienne grande maison presque en ruine, une demeure abandonnée ou peut être habitée par des esprits, un terrain vague tout autour, un grand figuier, des ronces et herbes sauvages avaient envahi cette propriété … Je demandai à Selim : « Cette maison abandonnée est majestueuse et belle ; Comment l’a-t-on laissée en cet état déplorable ». ? L’un des ouvriers, un vieux me répondit : « Cette maison appartenait à une noble et richissime famille dont les membres se sont dispersés un peu partout après le décès de la mère ; le père, handicapé, était soigné par la servante de la maison ; le fils unique qui était en voyage, s’est marié en rentrant avec la servante et ils vivent actuellement dans la région du Koura ». J’ai alors demandé quelques détails et coordonnées, afin de pouvoir rencontrer ce fils aventurier. Je ne sais pourquoi j’ai toujours été attiré par l’histoire que gardent cachée ces vieux murs: c’était un certain Mounir, résidant non loin de Cosbah.
C’est peut être la Providence ou c’est peut être Saint Paul – vous comprendrez pourquoi lui – qui l’auront voulu.
Deux ou trois jours s’étant écoulés, l’idée de la maison abandonnée restait fixée en mon esprit – surtout qu’à cette même époque, un de mes amis de Beyrouth m’avait raconté qu’un richissime commerçant et agent: en whisky, vins, parfums, voitures, etc… un tas d’autres produits… lorsqu’il était venu de Syrie au Liban, avait loué chez mon père, notre maison; son travail avait été si prospère qu’en peu de temps, il était devenu l’un des piliers du commerce au Liban; banquier, président de plusieurs sociétés, immeubles, terrains etc…. ».
« Il s’était fait construire sur les hauteurs de Beyrouth une luxueuse résidence. Il était venu chez mon père lui dire : « Votre maison a été un porte bonheur pour moi ; l’or et l’argent pleuvaient averse sur mes intérêts ; votre maison est devenue trop petite et humble ; j’ai dû déménager ; je vous paye la somme que vous désirez, si vous me permettez d’arracher le linteau de pierre sous lequel je passais en rentrant et sortant de la maison ; je vous en installerai un autre ». … Mon père, généreux et bon, lui avait dit que le linteau et toute la maison lui étaient offerts – « Et c’est ce qui avait été exécuté: le linteau en question orna l’entrée de la nouvelle maison du commerçant. Or un mercredi, journée dédiée à Saint Joseph, je me dirigeai vers le Koura et atteignis la maison de ce monsieur Mounir, que tout le monde connaissait. J’entre, je salue, Mounir et sa femme ; ils m’invitent et me demandent les raisons de ma visite. Ils comprirent rapidement que je ne faisais pas une interview, mais que je notais pour l’histoire des faits, des us, des coutumes, des actes, etc… qui appartiennent à notre patrimoine et dont se dégage l’âme de notre nation. La conversation débuta tout de suite ; ils avaient du temps et étaient heureux.
Ils m’invitèrent à déjeuner, et la conversation fut animée et vivante. Je pus connaître leurs enfants et surtout je reconnus leur solide foi dans la religion du Christ, et dans l’admiration qu’ils avaient pour Saint Paul, l’apôtre ardent qui cependant n’avait pas vu ni connu Jésus…
Ils participaient à tour de rôle dans la conversation ; ils étaient unis et délicats ; ils parlaient à voix basse, comme s’ils priaient… ils n’avaient pas besoin de parler ; ils s’exprimaient par leurs regards, leurs sourires, leur émotion…
Leur village au Nord était perché comme un nid d’aigle sur le flanc d’une montagne qui fait suite à Dahr el Kadib, Cornet el Saouda, la montagne des cèdres – Un hameau, quelques maisons autour d’une fontaine où l’eau et plus froide en été qu’en hiver ; quelques terrains agricoles en dehors du hameau, des terrasses assez étroites où poussent arbres, légumes et céréales ; chaque maison possède une chèvre ou plus, des vaches, poules etc… l’élevage est important, même vital, et assure une bonne part des humbles produits de consommation. Dans ce petit hameau, il n’y a même pas une boutique. De temps à autre, passe un marchant ambulant à dos d’âne et qui ravitaille ce hameau en ce qui manque, sel, sucre, café, thé etc…, étoffes etc… fils de coton, et à coudre etc…
Une petite église pas plus grande qu’une chambre est desservie par un vieux curé de la région. Les gens ici, travaillent chez eux sur leur propre terre, s’entraident souvent et les quelques artisans (menuisiers, maçons, tisserands…) trouvent un travail journalier un peu partout…
Un certain « Maître Elias », cordonnier, réparait surtout les chaussures ; rarement il avait des commandes pour des souliers neufs, car une paire de souliers duraient jadis longtemps, entretenue soignée, réparée… Maître Elias était sollicité alors de partout, surtout les pères des familles nombreuses ; et trouvait les solutions à chaque cas.
En général les gens là, n’étaient pas riches ou aisés, beaucoup étaient démunis; c’était entre les deux premières guerres mondiales ; pour cette raison, beaucoup de filles allaient travailler comme bonnes dans des maisons dans les grandes villes.
Maître Elias avait accepté que l’une de ses filles Msihieh (Christiane) aille servir dans une maison ; il avait accueilli la demande d’un certain Mohsen Bey, musulman, commerçant à Tripoli, un homme de Dieu, d’une grande honnêteté. Mohsen assurait à Elias que Msihieh serait traitée comme ses enfants et que son frère pourrait passer la voir ou la reprendre quand il voudrait. En effet Mohsen était réputé pour sa générosité, son éducation, sa bonté et sa foi.
La majorité des gens des trois grandes villes côtières, Saïda, Beyrouth, Tripoli, s’occupaient de commerce : achat et vente de toutes marchandises, céréales, huile, tissus, bétails, bois, métaux et matériaux de construction etc…
Mohsen possédait un grand dépôt pour les ventes en gros et une boutique pour les détails ; il s’occupait de produits alimentaires, et de consommation, son commerce était florissant et les acheteurs le connaissaient et l’aimaient.
Christiane qui venait de terminer ses quatorze ans, ramassa ce qu’elle avait comme vêtements dans un sac, prit aussi quatre ou cinq bouquins qui formaient sa bibliothèque et sa richesse, entre autres, les lettres et les Actes des apôtres de Saint Paul, la bonne nouvelle, l’histoire des saints, et sauta dans une vieille voiture de l’époque après avoir embrassé ses parents.
Arrivée à Tripoli, elle ne se sentit pas dépaysée. La résidence où elle se trouvait était une grande bâtisse de deux étages avec un jardin et un grand réservoir d’eau.
On lui avait aménagé une petite chambre dans le rez-de-chaussée, non loin de la cuisine ; elle fit une petite tournée dans la maison, se présenta à Mme Mohsen ; « votre humble servante ». Mohsen avait deux filles et un garçon ce qui est très rare dans Tripoli, où les familles sont formées d’à partir au moins dix membres.
La maison nourrissait trois ou quatre chats qui s’étiraient à l’ombre d’un eucalyptus.
Mme Mohsen expliqua à Christiane ce qu’elle aurait comme travail : l’entretien des chambres, de la maison, des deux étages, l’escalier, les travaux à la cuisine pour aider la cuisinière, une vieille dame de plus de soixante ans – donner à manger aux chats et aux poules – arroser les pots de fleurs qui étaient nombreux dans la maison, faire la vaisselle, tous les jours, la lessive… garder tout en parfaite propreté et ordre etc…
« Tu ne dois pas te fatiguer ; tu peux te reposer à volonté ; et les jours de lessive une femme viendra pour cette besogne, (les machines à laver n’existaient pas encore) ; tu pourras manger ce qui bon te plaira, etc …
Mme Mohsen, portait le voile, était d’une grande générosité et bonté, et d’ajouter : « il n’est pas conseillé de sortir seule dans la rue ; les dimanches, tu pourras partir à l’église la plus proche pour la messe et les prières ; Mona, ma fille, t’accompagnera ».
Notre servante se vit mieux entourée là, que dans sa propre maison au village.
Christiane organisa son travail ; elle consacra un temps pour ses lectures, car à l’école près de son hameau, elle avait appris à lire et à écrire ; elle était d’un niveau moyen, presque le complémentaire, mais elle avait de l’ambition et se laissait emporter par de longues lectures dans ses bouquins qu’elle avait presque appris par cœur.
La vie avait pris son cours. Tous les deux mois, Elias se pointait pour toucher le salaire de la petite ; il s’acheta deux chèvres supplémentaires, et améliora le niveau de vie du foyer.
De temps à autre, Mohsen renvoyait Christiane passer deux ou trois jours près de ses parents. Christiane, était belle, toute jeune et pure, brunette avec les yeux verts ensorcelants ; à son sourire si gracieux, on ne pouvait résister ; on tombait en admiration devant son innocence. Elle était simple, même naïve ; elle ne connaissait pas le péché, ni le mal ; elle croyait en Jésus et Marie, et elle leur était très dévouée. Elle était très admirative de Saint Paul, ce grand apôtre et fondateur de la Chrétienté.
Elle lisait, méditait les lettres de saint Paul et découvrait dans les Actes des apôtres les aventures de ce grand saint.
Comment sur la route de Damas, il s’était vu environné d’une lumière « plus claire que le soleil » et avait entendu les paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? ». Cette voix qui venait de la lumière s’était fait reconnaître comme étant celle du Christ. Saul avait gardé pleine connaissance ; et déjà le dialogue avait eu lieu. La voix lui avait indiqué d’entrer dans la ville, mais il avait dû être guidé, car il avait perdu la vue, cela pendant trois jours, et durant trois jours il avait jeûné. Etait alors venu à sa rencontre un fidèle de Jésus, Ananias, qui lui aussi avait entendu une voix lui demandant d’aller voir Saul ; au nom du Saint Esprit, il l’avait guéri de sa cécité. A partir de ce moment Saul était devenu Paul un ardent apôtre du Christ et devint le fondateur du Christianisme. Cet évènement devant Damas fait penser à celui de la transfiguration sur le mont Hermon- ici les apôtres Pierre, Jean et Jacques avaient vu le Christ dans sa forme solaire, la forme lumineuse de sa seconde et prochaine venue : « Paul, Pierre, Jean et Jacques en entendant la voix étaient tombés face contre terre ».
Trois jours auraient suffi pour que Paul soit à nouveau maître de lui-même.
La réalité la plus importante qui était apparue à Paul était le Christ Ressuscité, être spirituel, désormais lié à la terre et à l’humanité depuis le sacrifice du Golgotha. Faut-il ici parler de l’aventure d’Emmaüs ? Le Dimanche de Pâques… dans l’après midi, deux disciples qui n’appartenaient pas au cercle des Douze avaient quitté Jérusalem et cheminaient vers le bourg d’Emmaüs… Ils étaient plongés dans un pénible entretien : la mort du Messie leur Maître sur une croix ; ils passaient par une grande crise, et à leur tristesse se mêlait le doute ; Jésus était-il réellement le Messie ?… Des bruits de Résurrection les troublaient : Le Tombeau avait été trouvé vide ; vide était aussi leur âme de trouble et de douleur. Et voilà qu’ils avaient reçu la présence d’un troisième promeneur ; ils avaient cru que c’était un passant quelconque. Ils ne l’ont pas reconnu ; lui leur a adressé la parole, les a instruits du sens de la condamnation de leur messie, c’était l’accomplissement de l’Ancien Testament. Et voilà qu’au moment où ils se trouvaient à table, il a rompu le pain, ils se sont réveillés, ils l’ont reconnu et à l’instant même il est devenu invisible.
Christiane, passionnée de Saint Paul, des Actes, des Lettres, passait ainsi son temps libre à communier avec ces grandes figures de Christianisme ; elle ne bavardait pas, ne dérangeait personne ; sa présence était aérienne ; la maison était propre, agréable comme ses employeurs ne l’avaient jamais vue. Or ce Mohsen avait deux filles, l’ainée, Mona travaillait dans une banque était tombée amoureuse d’un certain ingénieur chrétien qui fut admis dans la famille de Mohsen ; cette Mona qui avait été élevée chez les religieuses n’était pas étrangère au Christianisme ; ils se marièrent et eurent deux filles, puis son époux qui avait un projet en Arabie Saoudite, tomba dans les filets d’une Saoudienne, se convertit à l’Islam et oublia Mona et ses filles… Ironie du sort !
La deuxième fille May très attentive, s’occupait de la comptabilité du père. Le garçon, Mounir ; (tous les noms commencent par M) avait 18 ans ; on ne l’avait jamais vu à la maison : il était sur les routes en permanence. Puis, une chose intrigua Mohsen, ce fut sa présence à la maison tout le temps à partir du moment où Christiane y était… Ce Mounir n’osait cependant pas la saluer, ni la croiser ; il voulait seulement attirer son attention.
Le sérieux de Christiane coupait la parole à ses interlocuteurs. Devant elle, si jeune, si illuminée, si belle, si aimable… on se sentait muet – Mounir, du matin au soir, épiait les mouvements, l’emploi du temps de Christiane ; voyant qu’elle travaillait dans les chambres du premier étage, il se glissa dans la petite chambre de Christiane pour voir ce qu’elle lisait ce qui l’occupait ; les Lettres de Paul, les Actes des Apôtres ; il n’avait jamais entendu parler de ces ouvrages de Paul … Les textes étaient en arabe ; il se dirigea le lendemain à l’école des Frères de Tripoli où il avait étudié, s’adressant à un religieux qui était Libanais, lui demanda que voulait dire ces textes de Saint Paul les Actes des apôtres.
Mounir se dirigea immédiatement à la librairie du couvent où il trouva ce qu’il cherchait. Il prit les deux brochures, les pressa contre son cœur et retourna à la maison ; il commença sa lecture : Lettre de Paul aux Romains, 1- Paul serviteur de Jésus Christ appelé à être apôtre…
Le lendemain, Christiane dans son travail aperçut les deux bouquins « ce sont les mêmes que je possède ; mais ceux-ci sont en français » – Que se passe-t-il se demanda-t-elle ?
Sa curiosité fut telle que chaque jour, elle contrôla l’évolution de la lecture, et un jour par surprise Mounir rentrant dans sa chambre, voyant que Christiane feuilletait les dites Lettres, il n’a rien dit ; c’est elle qui commenta, « j’époussète ; tout sera remis en ordre »…, mais elle avait le cœur qui battait, les joues rouges ; elle ne savait quoi faire ; elle demanda à Mounir de quitter la chambre pour qu’elle puisse terminer le ménage et Mounir de répondre : « Qu’importe le ménage ; le problème est ailleurs ; le problème c’est ce Saint Paul et toi Christiane ; Tu m’intrigues avec tes lectures, tes méditations, ton isolement, à tel point que je suis devenue obsédé par toi ; tout ce que tu fais, toi ; tu lis,… tu remarques depuis assez longtemps que je ne sors plus ; je reste près de ton ombre ; ta présence m’est si nécessaire… ». Mounir, lui a-t-elle dit, tu es le fis de mon patron, je serai obligée de quitter ce lieu, de retourner dans mon village de travailler ailleurs… « Et lui : « Partout où tu iras, je te suivrai ; prends garde à toute décision que tu prendras. Je te prie, tu pourras nous quitter, mais tu m’en tueras ; explique moi un peu, ce Saul-Paul ce persécuteur des Chrétiens, sa conversion et son œuvre monumentale. Je te prie Christiane, je m’agenouille devant toi, comme tu le fais devant l’icône de la Vierge que tu as ici ; crois-tu que je ne l’observe pas ? que je ne te surveille pas, alors que tu t’es emparée de toute mon existence, je t’ai aimée sans t’adresser la parole; ce Paul que tu aimes, et son Messie ont envahi mon âme, ma pensée, tout mon être; cela je ne crois pas qu’il déplaira à papa qui a beaucoup d’ouverture, et qui a voulu nous former dans des institutions chrétiennes.
– « Je veux bien, répondit Christiane à condition que ce Saint Paul soit le seul lien entre nous ; ton père souhaite te voir marié avec Leila la fille du richissime commerçant et une parente à votre famille ; tu ne me parles que de Saint Paul de ses Lettres et de ses actes ; et du Maître de Saint Paul qui est le mien aussi et de la merveilleuse Dame, que l’Apocalypse à décrite vêtue d’or et de Lumière plus éclatante que le soleil ». (Le lendemain, Mounir s’est dirigé à la librairie des Frères, a acheté les quatre évangiles et l’apocalypse en un seul volume)…
Voyant le sérieux de ce garçon, et sa passion, Christiane a admis la nouvelle situation ; au fond elle aimait Mounir, le trouvait communicatif, vrai, courageux, idéaliste, il passait des heures au salon ou à la cuisine pour être près de Christiane. Ils lisaient ensemble certains Lettres qui sont nombreuses aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux Ephésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Hébreux… comment demanda Mounir, Saint Paul a passé au Liban s’est embarqué à Tabarja, et il n’a rien adressé aux Libanais ?… Comme tu es naïf, lui a répondu Christiane ; mais ces Lettres sont toutes adressées aux Libanais quoique le Liban n’existait pas dans sont état actuel…
Les Libanais étaient les maîtres de la côte et de la mer ; c’était du temps des Romains : depuis Césarée jusqu’à Adana, Tarse, Smyrne, toute la Grèce, jusqu’à Rome, Malte, Rhodes, Chypre, et surtout Damas. Les lettres de Saint Paul sont universelles et ne sont limitées ni dans l’espace ni dans le temps ; j’aimerais refaire une partie de ses voyages et marcher sur ses pas… . Mohsen remarquait que son Mounir était devenu casanier, qu’il vivait dans un autre monde ; il devinait qu’une idylle était née entre Mounir et Christiane ; comment pourrait-t-il intervenir ? et pourquoi ?… En bavardant un jour avec Mounir, il avança l’idée qu’il aimerait le voir uni à Leila etc… et Mounir d’être très franc, de répondre à son père que Leila, il la trouvait vide ; qu’il aimerait être près d’une chrétienne, Christiane…
Le père s’attendait à cette réponse et il reprit : « Si tu t’intéresse à une fille chrétienne, j’ai plein d’amis chrétiens, richissimes, ils seront heureux de te voir parmi eux ? Non, rétorqua Mounir, ce n’est pas là le problème, c’est Christiane telle qu’elle est, notre servante, que j’admire et j’aime ; je t’obéirai ; tu es mon père mais comprends moi, cher papa ». Mohsen au fond trouvait que Christiane était unique, sensible, toute charme et affection et que lui s’il devait refaire sa vie, il ne choisirait qu’une fille ayant les qualités de Christiane. Mounir et Christiane s’oubliaient et se laissaient en « hors sujet » car leur sujet de base était la vie de Saint Paul et quand ils s’entendaient c’était leur grand amour.
Mounir en vint à jurer et faire à Christiane toutes les promesses de son amour envers elle; elle aussi déclara son amour à Mounir et lui promit sa fidélité, etc…
Un beau matin, Mohsen appela Christiane pour lui annoncer qu’à partir d’aujourd’hui, tu seras maitresse de cette maison ; mon unique fils Mounir à qui je ne peux rien refuser m’a annoncé qu’il t’aime et désire que tu sois son épouse, et Christiane de répondre : J’ai été engagée ici pour vous servir contre une somme d’argent que touche mon père ; Quant à moi, je continuerai d’être votre servante ; je n’ai pas encore décidé de me marier ; Mounir, je l’aime bien ; il est merveilleux ; ne nous pressons pas ; je prie le Messie et Notre Dame de nous aider ».
Mounir faisait une surprise pour Christiane ; il lui annonça que cette après-midi-là il avait été voir le frère Hilario qui avait passé plus de dix ans à Jérusalem et en terre sainte, et qu’il aimerait marcher sur les pas de Saint Paul ; voir la Palestine, Syrie, Damas, et la côte orientale de la Méditerranée, jusqu’à Adana et Tarse, puis la Grèce, et le retour pour Chypre ; un voyage aventure de six mois environ. Après ce long pèlerinage je te donne ma promesse, je retournerai pour nous marier ». Christiane eut les larmes aux yeux, elle était heureuse mais craignait de le perdre – « Que la volonté de Dieu soit faite, je t’attendrai ».
Mohsen, ce brave homme très croyant, était enthousiasmé et avança des pièces d’or, assurant à Mounir d’être à ses côtés.
Alors, ce furent, les adieux, Mounir et Christiane s’embrassèrent pour la première fois très longuement ; entre larmes et sourires ils se séparèrent ; une voiture attendaient Mounir pour le transporter à Tyr ; de là il se dirigea vers la frontière Sud du Liban pour rejoindre St. Jean d’Acre, puis Haïfa ; c’était avant les guerres qui ont séparé Liban et Palestine; de là il se dirigea vers Jaffa, le Lod, puis plus au Sud-est pour atteindre Jérusalem. En zone chrétienne, il trouva facilement le couvent des Dominicains, où il était recommandé. Le Père Adrian, le reçut, et lui trouva un logement tout près, chez des amis.
Il passa les premiers jours à découvrir la ville Sainte, Jérusalem. Il visita l’Ecole biblique où il rencontra un père François qui avait séjourné au Liban.
Le but de ce voyage, c’était en apparence Saint Paul mais en réalité c’était Christiane la dévouée à Saint Paul. On lui indiqua l’endroit où St Etienne fut lapidé sous le regard de Paul.
A Jérusalem Mounir visita les lieux saints, le dôme du rocher, le mur des lamentations, le cénacle, l’église du Saint Sépulcre.
Ce voyage n’était pas un voyage de tourisme et de plaisir, c’était un pèlerinage de prière dominé par la belle figure de Christiane. Pour Mounir c’était Béatrice qui l’avait marqué pour toute sa vie.
Son père Mohsen lui avait donné des adresses et des recommandations auprès de certains commerçants avec qui il traitait.
Il encourut à pied, la Galilée, Hébron, la Mer Morte ; il passa quatre jours du côté du Lac de Tibériade ; il n’était pas pressé.
Il fit à pied tout le chemin qui mène au Golgotha à travers les ruelles de Jérusalem.
Mounir était si heureux et enthousiasmé durant ce séjour en Terre Sainte, son expérience était unique.
Il cherchait à communier avec ce Paul si rebelle, si audacieux, ce croyant solide, pionnier qu’aucune force ne pouvait arrêter.
Il programma une prochaine tournée : au Liban : la Békaa, puis Damas Bab Touma, la maison d’Annania etc… et se replier vers Antioche, Adana et Tarse dans l’Asie – Mineure, et de là, Chypre, retour vers Sidon et le littoral Libanais jusqu’à Tabarja.
Il faisait des châteaux de rêve.. De toute façon la capitale des Omeyyades ce serait pour bientôt. Ironie du sort : vint l’éclatement de la seconde guerre mondiale, les troupes allemandes ; venaient d’envahir la Pologne, et bientôt leurs armées occuperaient presque toute l’Europe. Hitler était devenu l’homme fort… pour un temps, face à un autre homme fort Staline. En écoutant ces nouvelles, Mounir ne sut quoi décider- rentrer au Liban sans poursuivre les pas de Saint Paul .. ? Les troupes alliées occupaient déjà la Palestine, Rommel se battait en Lybie, tous les fronts s’étaient embrasés. Le père Adrian lui proposa de rejoindre les forces britanniques : Il y fut admis et intégré dans les services des urgences médicales ; l’infirmerie et les soins étaient un peu son domaine, son contingent devait être sur tous les fronts apportant ses soins.
Deux chirurgiens et plusieurs autres médecins anesthésistes, neurologues etc… et une armée de secouristes et infirmiers était prête en état d’alerte toutes les 24 heures.
L’un des chirurgiens sympathie avec Mounir et le faisait travailler dans son service… Mounir en ce domaine devint un excellent praticien.
Ils devaient se déplacer jusqu’en Jordanie. Ils suffisait de traverser le Jourdain pour être de l’autre côté.
En traversant le Jourdain, il pensa à Christiane ; cette eau qui vient du Liban, le baptême du Christ etc…
Il devaient s’arrêter à Djerach non loin de Irbid, la Frontière syrienne. Mounir eut le courage de demander à son patron un permis de 5 à 6 jours pour rester sur les pas de Saint Paul ; il lui raconta son pèlerinage. Son Patron était si intéressé qu’il trouva un médecin compétent de son service pour le remplacer pour 4 à 5 jours. Chose faite, ils prirent une Jeep de l’armée avec un chauffeur et après quelques heures, ils étaient à Damas. Ils visitèrent le Souk Hamidieh, la mosquée des Omeyades qui était une ancienne église et où se trouve encore le crâne du Baptiste, les trois minarets de la mosquée et tout le quartier et se retrouver du côté de Bale Touma et suivre Saint Paul au pas, visitant la maison d’Ananias où Paul avait résidé, les murailles, couvents, églises, etc…
Le patron aimait Mounir comme son fils et lui avouait qu’il aimerait venir au Liban et connaitre ses parents, surtout Christiane. Une bonne partie de son pèlerinage avait été réalisée, Palestine et Jérusalem, Damas.. c’était merveilleux ; après quatre jours ils étaient de nouveau dans leur contingent.
Mounir préservait des médicaments, soignait des plaies, faisait des sutures, emplâtrait, etc.. il était un apprenti médecin. Le temps passait vite, Mounir était pris, plein temps, il avait donc servi dans l’armée de sa majesté, et sur la demande de son patron, la nationalité Anglaise lui fut accordée, il prit congé, il vint rejoindre son poste, une voiture militaire le transporta de nouveau dans la ville sainte.
Mounir se voulait loin du péché , il lisait dans les mêmes bouquins que Christiane, il se considérait comme missionnaire, esprit nouveau, responsabilité, foi et amour du prochain.
Il n’avait pas de nouvelles de Christiane, ni de son père et sa famille ; il avait hâte de rentrer, mais il se disait « pourquoi ne ferai-je pas une année d’études à Jérusalem ? ».
D’autre part, son patron lui proposa de l’accompagner à Londres ; il était jeune et il pourrait faire beaucoup de travail.
L’armistice signée, l’Allemagne et le Japon avaient capitulé ; Mounir avait retrouvé sa liberté ; les pays devraient être reconstruits et beaucoup de projets se dessinaient dans son horizon.
– J’ai été dans les pas de Saint Paul presque partout mais à Rome, chef lieu de l’Empire Romain que Paul a transformé en y prêchait sa Bonne Nouvelle – oui, moi qui suis un fils de commerçant, pourquoi je ne me lancerais pas dans les affaires ?
Du fait de son service dans l’armée, il avait économisé durant plus de 6 ans tout l’argent qu’on lui avait payé en plus d’un bonus de fin de service. Il accepta l’idée du Docteur, ils débarquèrent tous les deux à Londres, voyagèrent sur un bateau de transport jusqu’à Barcelone, de là ils prirent une corvette militaire ; un trajet qui prit plus de douze jours. La Corvette arriva à Portsmouth ; de là ils prirent le train pour Londres où ils s’installèrent dans un petit hôtel central. Mounir visita Londres en compagnie de son Patron ; ce dernier qui n’avait pas encore vu sa famille, résidait près de Cambridge invita Mounir à passer le voir.
Entretemps Mounir avait contacté plusieurs usines de matériaux de constructions et d’installations et de produits d’étanchéité, de ferronneries variés ; il signa des contrats en payant une avance ; de la sorte, il était représentant exclusif de leurs produits à Jérusalem. Il put faire ses commandes, donner son adresse chez les Pères Dominicain prit la voile pour l’Italie, à Naples ; de là, le train pour Rome, la ville éternelle, En vrai connaisseur et croyant, il visita Rome, le Vatican, et tous les vestiges qui avaient vu le soleil de Christianisme briller. Nous étions en 1946, Mounir pensait effectuer un retour au Liban, revoir Christiane si elle l’attendait encore et retourner s’installer à Jérusalem définitivement. Le soleil se levait partout, et éclairait tous les cœurs ; cette vieille ville détruite à plusieurs reprises et rasée par l’empereur Adrien qui l’avait nommée « Aélia » et enfouie à plus de cinq mètres sous des remblais et que l’empereur Constantin déblaya plus de trois cents ans plus tard pour retrouver les vestiges de Christianisme… Un autre voyage de plus de cinq jours avec une escale à port Saïd en Egypte ; il parvint enfin dans sa ville, celle qui avait vu Paul s’épanouir après son enfance à Tarse. A Jérusalem, il loua un grand Hangar, dépôt, pour stocker ses commandes et les distribuer ensuite sur le marché.
La publicité n’existait pas comme aujourd’hui presse, T.V., Radio, journaux etc… Il employa bientôt six personnes dans sa nouvelle société ; tout fonctionnait à merveille.
Fin 47, cela faisait plus de 9 ans – 10 ans il avait coupé toutes les relations avec le Liban, Tripoli, sa famille et Christiane. Maintenant ce n’était plus lui l’enfant Tripolitain des années 35 – 38, c’était un autre. Les paroles de Saint Paul avaient agi comme la levure dans la pâte ; lui aussi il faisait partie de ce troupeau portant la lumière et la Bonne Nouvelle. Son admiration pour Christiane ne faisait qu’augmenter ; il la considérait comme sa marraine : il était devenu ce qu’il était grâce à elle. Son commerce devenait florissant. Les commandes, toujours plus de commandes de partout ; le pays devenait un grand chantier ; sa fortune augmentait les gens l’aimaient, le respectaient et avaient confiance en lui.
Un samedi matin, la décision fut prise ; il installa un responsable chez lui, lui disant qu’il s’absenterait pour deux ou trois semaines. Que s’était-il passé au Liban durant ces 9 – 10 ans ? Christiane avait continué à servir ses maîtres ; Mohsen l’entoura de ses soins. La guerre éclatée, son commerce avait régressé ; il avait été obligé de renvoyer ses employés et fermer ses magasins, son épouse était décédée ; Leila s’était mariée ; il se trouvait tout seul avec Christiane dans cette grande maison.
Un matin de 1944, Christiane en rentrant porter le café à son maître, le découvrit presque inerte par terre ; elle alerta les voisins, ils transportèrent Mohsen à l’hôpital ; il était dans le coma. Christiane dût tenir la maison seule, et venir quotidiennement à l’hôpital pour être près de lui pendant plus d’un mois.
Christiane avait enfin décidé de rentrer chez elle, dans sa maison familiale, près du cordonnier, son père, ses frères et sœurs ; mais pas seule ; elle emmena en plus Mohsen avec elle. Mohsen était vu entouré par toute la famille et Christiane.
A la suite d’une hémorragie cérébrale, Mohsen fût atteint d’une hémiplégie qui le cloua dans un lit ; il fallait le servir, l’aider, le soigner ; c’est ce que faisait Christiane.
Un Samedi soir, Mounir, arriva à Tripoli, se dirigea vers sa maison qu’il trouva dans un état d’abandon, de prochaine ruine ; le jardin desséché, les herbes et joncs sauvages avaient envahi le lieu, les fenêtres fermées, etc…
Il fit une tournée autour de sa maison, s’assit un peu dans le jardin, une voisine curieuse l’avait vu mais ne l’avait pas reconnu ; elle s’approcha demandant si elle pouvait l’aider ; Mounir était dans un autre monde – que s’était-il passé, était-il devant une réalité ou un rêve ?
Il répondit à la jeune dame : « est-ce que cette maison est à vendre ? Je cherche une vieille bâtisse à restaurer…
En résumé, la dame, désirant bavarder lui confia que le propriétaire avait été hospitalisé et qu’il vivait chez sa servante depuis plus de trois ans ; et que cette dernière passait ici toutes les deux ou trois semaines : « Si cela vous intéresse on peut vous mettre en contact avec Christiane dès qu’elle sera ici – Mounir son fils a voyagé et on n’a plus eu de ses nouvelles ; ses deux filles mariées, sa femme décédée, il n’y avait que Christiane cette aimable fille si serviable qui considérait Mohsen comme son père et l’a servi de tout son cœur… ». Mounir cachait sa figure larmoyante en faisant croire qu’il inspectait le lieu ; il répondit à la voisine : « Pourquoi pas ; je passerai bientôt.. ».
Mounir était accompagné de son chauffeur ; il demanda à ce dernier de se garer devant un restaurant ; c’était vers 6 heures du soir il demanda à son conducteur de commander ce qui lui plaisait car cette nuit serait longue ; nous allons nous diriger vers le Nord dans la région de Ehden, non loin des cèdres. Il était presque 8 h ; ils se dirigèrent vers une terrasse sur une plage, où ils prirent un café…
Le chauffeur s’endormit sur une chaise. Mounir était dans un des états d’âme que je ne sais décrire ; il était impatient de voir son père et surtout Christiane.
Le propriétaire de la terrasse, leur amena deux chaises longues, s’ils désiraient se reposer.
Mounir lui posa des milliers de questions sur Tripoli durant la guerre, sur Mohsen, ses filles, son fils etc…
Vers trois heures du matin, Mounir réveilla son chauffeur, lui offrant à boire et lui demandant de laver sa tête avec de l’eau froide pour le bien réveiller : « on a environ deux heures de routes à faire, tu dois conduire très attentivement sur des routes pleines de tournants, et de dangers »…
Vers 5 heures de matin, Mounir était sur la colline donnant sur le village ; il descendit de sa voiture et se promena dans tous les sens ; le temps était froid. A un moment, il entendit sonner la cloche de l’église du village avant six heures ; il était sûr de voir Christiane participer à la messe parmi les peu de gens qui vivaient ici, en ce coin. Les gens se pointaient et entraient à l’église ; des vieux, des femmes, des enfants.
Il vit une silhouette de jeune femme qui l’émut ; il était certain que c’était Christiane.
Une fois tout ce petit monde fut rentré dans l’église, il y pénétra lui-même ; il avait les épitres en « arabes » à la main ; il s’assit au fond de l’église, faisant un contrôle minutieux ; tout son regard, son être étaient attirés par Christiane qui approchait les trente ans, d’une grande beauté, d’une singulière présence.
Mounir avait assisté à beaucoup de messes, avait beaucoup prié ; pour lui on était tous les enfants de Dieu ; en plus, il était devenu profondément croyant en la Résurrection du Christ et en sa divinité. Il avait souvent servi des messes aussi quand la parole était au « peuple », il haussa le ton de sa voix, de telle façon qu’il attira l’attention, surtout celle de Christiane qui tourna la tête pour voir d’où venait la voix ; Mounir observa sa figure, ses yeux, elle était toujours jeune et innocente.
Avant que le lecteur lise l’épitre Mounir vint du fond de l’église, s’intégrant ainsi dans le saint sacrifice, ouvrit le livre des lectures du jour et « L’épitres aux Corinthiens etc »…
Toute l’assistance était saisie au silence, mais Christiane : se vit figée… perdue, chancelante… à peine l’Epitre terminée, elle tomba presque évanouie dans les bancs de l’église.
On accourut à son secours mais ce fut Mounir qui se précipita pour la porter, s’asseoir près d’elle, la soulager, l’embrasser, se rappelant ce dernier baiser qu’ils s’étaient échangé depuis dix ans, elle pleurait, de joie, d’émotion, de nostalgie ; dans leur silence, ils s’échangèrent leur éternel amour, le prêtre qui, lui, avait continué sa messe était aussi ailleurs…
Tous les frères et sœurs de Christiane – Msihieh s’étaient mariés depuis longtemps et Christiane la plus belle, la plus désirée etc.. était restée célibataire pour une raison inconnue…
Voilà que tout devenait clair ; le prétendu prince charmant était là en chair et en os.. ce fut une grande fête en cette église et ce village. Mounir et Christiane restèrent embrassés longuement ; le curé et toute l’assistance étaient sortis et attendaient dehors les deux amoureux ; enfin les voilà sur le seuil de la porte, la foule les applaudissant, Mounir se présenta comme étant le fiancé, l’élève et le disciple de Msihieh, tout le village s’est dirigé vers la maison de maître Elias. Là le vieux handicapé père de Mounir, Mohsen, ouvrait grands les yeux, larmoyait à la vue de son fils ; ce dernier se jeta dans les bras de son père, pleurait comme un enfant…
Le lendemain, lundi la fête continua à se célébrer dans le bourg et ce fut le mariage de Christiane, et de Mounir.
Christiane fit comprendre à Mounir qu’elle n’irait pas vivre à Jérusalem ; elle y irait en pèlerinage pour quelques jours seulement, là aussi sur les pas de Saint Paul.
Mounir s’acheta une grande propriété dans la région de Koura, en ce même lieu où il me contait son aventure.
Là, il y avait des centaines d’oliviers vieux, des milliers. Peut-être deux semaines plus tard Mounir et Christiane étaient en route vers Jérusalem.
Christiane n’avait jamais voyagé ni vu le monde, son plus long voyage avait été de son village jusqu’à Tripoli. Ils s’arrêtèrent dans le Kesrouan, sur la côte devant un lagon minuscule à Tabarja ; c’est ici que s’était embarqué Saint Paul ; ils prièrent ensemble et se dirigèrent vers Jérusalem ; ils visitèrent tous les nostalgiques vestiges que Mounir connaissait ; entre temps Mounir liquida ses affaires vendit son agence, dépôts, magasins et tout ce qu’il possédait, et dit son adieu au Père Hilario, l’invitant au Liban.
C’était en 1948 ; il sauva ainsi sa fortune et ses biens, car quelques semaines plus tard, survint la guerre, entre Israéliens et Palestiniens ; ces derniers non préparés avaient fui vers les frontières, surtout la frontière Nord qui limite le Sud du Liban, et ils y sont restés jusqu’à ce jour…
Avec l’argent qu’il avait, Mounir acquit d’autres terrains au Koura, installa un pressoir pour olives, servant toute la région ; c’était le plus moderne à l’époque. Il s’acheta une maison sur la côte de Batroun pour passer les hivers et être près des écoles pour ses enfants. Sa maison paternelle à Tripoli, il en fit un « wakf » pour les pauvres et démunis. Les « wakfs » au Liban, il y en a beaucoup , ce sont des lieux que des donateurs généreux et mécènes offrent à leur communauté, à l’Etat, aux institutions (œuvres de charité pour les aveugles, les vieux etc…) J’ai laissé Mounir parler, durant plus de quatre heures une longue séance ; j’ai noté le maximum, il doit en avoir encore trop, c’était en 1980 ; Mounir était en forme, solide et sportif, Mohsen était décédé, ses sœurs et leurs enfants m’a-t-il dit venaient souvent passer des fins de semaines chez lui. Grâce à Msihieh que Dieu aime, il avait pu sauver ses biens en l’ex-Palestine.
J’ai connu ses enfants et Christiane son épouse ; j’ai été plus d’une fois chez eux ; une famille que j’ai aimée, Mounir avait une haute conception de l’héroïsme et de la liberté. Cette histoire m’a bouleversé – c’est un autre évènement que celui de la route vers Damas, mais dans le Nord Liban à Tripoli en particulier que ses actes se sont manifestés quand les graines tombent sur une bonne terre, elles poussent et donnent leurs fruits, le cœur candide de Mounir était préparé afin que Christiane sème son amour et son charme.
Mounir me fit part de sa « Nationalité Britannique » qu’il portait, des études universitaires de ses enfants, de sa relation avec son ancien patron, de la visite du Père Hilario au Liban, du second voyage à Damas qu’il réalisa avec toute sa famille etc… de quoi écrire un roman. Le sourire et la belle figure de Christiane sont toujours présents en mon esprit.
Joseph Matar
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