Une Vendetta

Liban, pays de montagnes, des plus hauts sommets, aux vallées les plus profondes. Des rochers, tels les temples, où l’on peut aménager facilement un abri, des grottes un peu partout, des arbres millénaires, des petites terrasses où l’on a rassemblé une bonne terre pour la culture, se succèdent pour se perdre jusque dans les nuages.

La nature est telle que tout endroit, se présente comme un rempart.

Les gens sont hospitaliers et résistants à la fois. Grâce à cette situation, ils ont résisté. Des siècles aux armées de l’agresseur Ottoman venues du Nord ou à celle des Arabes venues du Sud. Ces hordes armées ont déboisé et coupé les arbres même fruitiers dans toute une région (vignes, oliviers caroubiers etc…) calcinant tout sur leur passage, ne laissant aucun moyen de vivre, d’exister aux populations en place.

Le Kesrouan fût déboisé plus d’une fois, sans pitié, ne laissant aucune trace de vie derrière ces armées.

Les autorités Ottomanes recherchaient en permanence des coupables (… quelqu’un qui n’a pas payé des impôts, ou qui a refusé de servir gratuitement dans les troupes de la Sublime Porte, ou autres infractions…).

Ces soi-disant hors la loi, vivaient souvent cachés, une arme à la main. Les villageois les aidaient, les aimaient les protégeaient car souvent ils avaient les mêmes excuses.

Ces hors la loi n’étaient pas mauvais ; beaucoup d’entre eux aidaient les paysans en leurs travaux; ils ne volaient pas, ne s’attaquaient pas aux troupeaux des chevriers, ne volaient, ni ne pillaient ni tuaient ; quelques uns pourtant étaient méchants, et agressaient les pauvres montagnards.

Les évènements dont je vais parler se sont déroulés dans la région du Kesrouan, Byblos-Jbeil, entre la côte et le Jurd, juste au lendemain de la première guerre mondiale, en fin de l’ère des « Moutassarefs ».

L’accès côtier était facile ; mais sur les hauteurs, on ne trouvait que des sentiers, des escaliers, des paysages rudes, difficiles.

Les sources d’eau étaient faciles à repérer, les paysans sont généreux et offrent leur pain à celui qui est affamé.

Les hors la loi se comptaient sur les doigts, ils n’étaient pas nombreux et étaient souvent de braves gens ; les uns pour une cause ou une autre s’étaient bagarrés sans le vouloir et quand les bagarres se terminaient sans coups de feu ou meurtre, … les choses alors s’arrangeaient facilement ; mais dans le cas contraire, les choses devenaient plus compliquées: tirs de feu, enlèvements d’une fille, rixes, défis atteintes à l’honneur etc… : Ils avaient tous un sens farouche de l’honneur, des mœurs, et coutumes, etc…; alors naissait la vendetta, la vengeance ; l’outrage ne pouvait être lavé que par le sang ; on ne pardonnait pas facilement; des mésententes perduraient longtemps entre individus, entre familles, ou entre villages…

Le cas des villages où la rancune circule comme le sang dans les veines sont nombreux… Plus nombreux encore les vengeances entres les classes…

Ces recherchés, ces hors la loi étaient nommés des « Tayar »; voltigeurs, volatiles. A l’époque, durant les années 1920-1930, l’Etat dépensa plus d’un million et demi de livres (de l’époque) rien que pour les munitions à leur poursuite. Le plus souvent, c’étaient les gendarmes qui sortaient des affrontements avec des blessés dans leurs rangs. Un hors la loi pouvait tenir tête à dix soldats et pouvait les obliger à se replier.

Saad, un bel homme, jeune fort, fier, aimé des filles du village, s’était trouvé obligé d’intervenir lors d’une cérémonie de mariage dans son village de « Ghabat »: les forêts, situé dans le Jurd de Byblos non loin de « Akoura », réputé pour la rudesse et la vigueur de ses fils, leur force, courage, bravoure, et générosité.

Que s’était il passé durant le mariage ? Je n’en sais rien, mais ce qui est certain c’est qu’un malentendu avait dégénéré en une bataille rangée entre les convives venant de Hrajel et ceux de Ghabat.

Saad dominait la bagarre, repoussant seul les assaillants, les humiliant, les blessant, les intimidant, cassant le bras de l’un, la mâchoire de l’autre… un « buldozer »… Voyant que l’un des attaquants dégainait une arme, Saad comme l’éclair, l’assomma d’un coup de feu en pleine figure. Il prit immédiatement la fuite, empruntant un sentier qui mène à la vallée.

La cérémonie avait été ainsi transformée en noce de sang ; chacun se retira de son côté, les gendarmes intervinrent, des dignitaires, le curé, le supérieur du couvent, le marié… mais le deuil, la tristesse, la rancœur, venaient de s’implanter là.

Saad, lui, avait disparu, pour toujours. Cet homme, bon, exemplaire, s’était vu en légitime défense ; et avait tiré. Un problème de conscience : une nouvelle vie, une autre existence se présentait à ses yeux.

Fallait-il se livrer à la justice et attendre son jugement ? la peine capitale ? la potence ? la prison à vie ? les travaux forcés ? ou bien vivre en liberté et hors la loi ? en recherché ? etc…

Il marcha deux jours, se cachant, évitant les gens, toute rencontre, pour atteindre le village de « Tartège » dans la haute région de Byblos; il se dirigea vers la maison du maire qui était un ami de sa famille ; il fût reçu ; il raconta son aventure au maire de A à Z. Le maire lui donna à manger et à boire et lui demanda de disparaître du village, l’invitant à se diriger se cacher dans l’autre versant de Tartège où le maire possédait un jardin, une hutte aussi qu’il pouvait occuper. Ce fut vite fait ; personne ne s’était rendu compte de la présence de Saad dans le domaine du maire… De bon matin, Saad désherbait dans le dit jardin ; les mauvaises herbes étaient jetées et les bonnes, il les rassemblait pour le bétail du maire.

Saad commençait à s’habituer et à s’intégrer à cette vie « buissonnière ». Il connut un autre hors la loi de passage chez le maire : un certain Abdou el Kreydi, qui avait bien voulu l’accompagner.

Saad enfin, demanda congé au maire et se dirigea avec Abdou du côté de Wata el jaouz, Aïn el Delbeh, Mayrouba, évitant toujours le village de Hrajel qui était encore endeuilli de la mort d’un de ses fils. Il connaissait les amis du père du tué, un peu partout. Cette région nommée actuellement « Jabal Moussa », le Mont de Moïse, s’étend sur plus de 65 km2 où se trouvait des dizaines de chevriers, de bourgs, de petits villages. Quand ils longeaient une tente, selon les circonstances, ils bavardaient à haute voix, dans l’idée que quelqu’un serait attiré par leur voix.

Soudain, sortit d’une hutte un homme ; à peine vit-il Saad, il lui dit : « Que fais-tu là ? tu es recherché partout, entre rapidement et ne sort plus d’ici, avant la nuit ; nous avons beaucoup pensé à vous tous ; mon père m’a dit : « si Saad a ouvert le feu, c’est qu’il était en légitime défense ».

Ils passèrent cinq jours en cet endroit ; on assura un bon fusil, des munitions, quelques grenades à Saad.

Saad vivait ainsi dans la plus grande discrétion ; personne ne le voyait ; mais il se lamentait ; il disait qu’il n’était ni voleur, ni malfaiteur, ni assassin, ni criminel, c’était dû à sa mauvaise étoile, son triste sort…
Il travaillait avec les paysans qui le protégeaient bénévolement, aidant dans les travaux, construction de murailles, coupant du bois, s’occupant des bêtes etc… élevage, travaux de menuiserie, récolte…

Il vivait dans l’isolement ; il était croyant ; il se confessait de temps à autre chez un curé dans la région ; il était dévoué envers la Sainte Vierge Marie. Quand les gendarmes rodaient dans la région, il était informé et prenait des précautions; on lui assurait toujours sa protection, on l’informait ; il n’avait jamais nui à quiconque, il rencontra d’autres compagnons dans ses évasions, autre que Abdou el Kreydi: un autre Gérios el Naccache et beaucoup d’autres ; surtout un certain Morched Imad qu’il avait toujours évité. Chacun de ces recherchés avait son cas, son histoire, ses raisons, ses problèmes.

Les uns étaient vraiment innocents, mais il y avait des hors la loi qui agressaient et exigeaient des rançons ou qui volaient ; ce n’était pas le cas ici.

Ici, c’étaient des problèmes stupides de vendetta, la vengeance qu’on ne peut laver qu’avec le sang.

Les histoires sont nombreuses, par centaines et cela prouve chez les chrétiens qu’ils n’ont rien compris à leur christianisme et que le pardon est un devoir.

L’histoire de Saad et de son frère etc… est véridique. J’ai vécu plusieurs de ses faits par hasard ; j’ai connu de près certains acteurs…

Saad ne dormait pas deux nuits de suite au même endroit.

Il se souvenait du beau temps qu’il avait passé à « Ghabat » son village, de l’école, du curé, de l’église, du travail de son père, dans la menuiserie etc… de sa mère, des bons plats que cuisinait sa chère maman et il se souvenait de ce mariage célébré dans leur village et des coups de feu et comment il avait abattu un homme sans le vouloir, les gens qui étaient intervenus, les forces de l’ordre qui étaient à sa poursuite, et sa vie qui était en permanence en danger, et des traîtres et les lâches qui dénoncent ces fuyards pour une poignée d’argent…

Saad était devenu un autre; quand il passait devant une église, il entrait, il s’agenouillait priant de tout son être, la Vierge et le Christ implorant leur aide.

D’un bourg à l’autre, d’un hameau à l’autre, d’un village au suivant, des journées cachées dans les forêts, il était aussi en continuelle liaison avec Abdou el Kreydi et Georges el Naccache; un certain Rafic, du village de Achkout leur assurait des munitions ; de braves personnes, généreuses, payaient en échanges de tous les services que Saad, Abdou et Gérios rendaient humblement.

Chaque deux ou trois mois, ils devaient affronter les forces de l’ordre qui les localisaient; quelquefois blessés, ils devaient demander secrètement les aides d’un médecin ou infirmier; leurs têtes étaient mises à prix, et les moyens techniques, les communications rapides, les chiens policiers, des moyens de détection plus performants, des hélicoptères, des caméras etc… les serraient de près.

Un certain Mourched Imad, un hors la loi lui aussi, sut profiter de la situation: protégé par le président de la République, il arrangea un compromis avec les responsables, leur assurant son aide pour en finir, se livra sur demande sans que les forces de l’ordre déploient le moindre effort et effectif et lui, reconnaissant son acte, se repentit et reprit la vie normale, respectant les lois, l’ordre, la discipline…

Malin comme il était, il trouva que l’histoire de Samson et Dalila pouvait être répétée sous d’autres formes.

Il avait loué un sous-sol dans une ancienne bâtisse; dire louer, c’est trop: il avait su s’arranger pour mettre la main sur le lieu comme quoi il garderait la maison le jardin etc…

Il s’était trouvé une bonne, une servante avec qui il vivait et se faisait le juge, le chef, le défenseur de la justice.

Mourched faisait tous les jours sa tournée sur sa jument vêtu en costume folklorique, un colt sur sa ceinture ; il chevauchait dans les étroites ruelles de Jounieh menant à l’école des Apôtres, traversant les souks, passant sous l’arcade de l’église St. Jean, remontant la ruelle passant devant l’école des filles des Sts. Cœurs ou celle des Maristes pour rentrer galopant en parallèle aux chemins de fer et atteindre sa maison.

Des gens l’arrêtaient souvent pour lui raconter leurs peines, leurs problèmes, etc…

Mourched le tout puissant, tel le magnifique Salomon, l’épée de la justice, avait des solutions sur mesures…

La zone où se déployaient Saad et les autres hors la loi devenait restreinte; la peur d’être abattu par les forces de sécurité devenait un cauchemar.

Un matin, on annonça la mort de Abdou el Kreydi à « Douma » dans le jurd de Batroun… Les forces de l’ordre prirent sa dépouille pour la remettre aux siens et la récupérer légalement.

Saad, toujours en fuite, suivit le déroulement des opérations ; son cœur battait et attendait son heure prochaine. Il sût comment Abdou avait trouvé la mort. Une femme de Douma, complice, avait été payée pour empoisonner Abdou.

Quelle différence y-a-t-il entre des ciseaux pour couper les cheveux de Samson et un peu de cyanure ou raticide ou pesticide dans une boîte de Sardine ? Abdou avait voulu déjeuner et avait une boite de Sardine en ses provisions.
Pour l’ouvrir, il avait demandé à la dame en question une clef, ou canif.
La complice avait montré son zèle, avait pris la boite, l’avait ouverte, l’avait servi dans une assiette, y ajoutant du jus de citron et le produit mortel en sa possession et voilà quelle avait été la fin d’un chapitre.
Abdou n’était plus ; il n’en coûta rien à l’Etat, ni munitions ni force humaine.
Saad devait se tenir sur ses gardes. Quelques mois vinrent à passer : on annonça la mort de Gérios el Naccache. Comment ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas pu avoir de témoignage.

Saad s’était ainsi vu seul dans cette zone une des plus belle au Liban : actuellement elle est dédiée au tourisme écologique.

Saad désespéré s’attendait à une mort prochaine : irait-il se livrer aux forces de l’ordre pour être jugé ?

Les routes augmentaient dans la zone.
L’Etat avait plus de moyens et le meilleur moyen de se cacher, c’était dans les grandes villes même !..

Avant de prendre une solution, il décida de passer voir son ami le maire de Tertej. Après deux journées de marche, le voilà tapant à la porte qui était entrouverte … Surgissent soudain quatre éléments des forces de l’ordre: ils savaient que Saad venait de temps à autre voir le maire…

Saad garda son sang froid et les invita à entrer. « Non, lui répondirent-ils. Monsieur le maire, est-ce que Saad Ephrem est passé par là ? » Il leur répondit : « Oui, il vient de se diriger dans telle direction », il lui fallut quelques minutes pour disparaître… Saad se dirigea vers une église St. Georges pour remercier le Seigneur de l’avoir sauvé.
Mourched n’osait pas affronter Saad. Les forces de sécurité ne se faisaient plus de soucis à propos de Saad: avec la complicité de Mourched il tomberait bientôt dans leurs filets mort ou vivant.

Plus d’une fois, Saad et Mourched s’étaient rencontrés d’un peu loin face à face; Mourched n’avait pas osé se servir de son arme car il savait que Saad était plus rapide et un excellent tireur.

Mourched alors changea de stratégie: il avait un neveu Hassib qui était un vrai voyou et que Saad ne connaissait pas. Mourched chargea Hassib contre cinq livres or de l’époque de tirer sur Saad et de le tuer. Il lui dit : « Prends garde ! Saad est très vigilant et rapide et ne se laissera pas faire facilement … ». Hassib guetta Saad et remarqua que Saad dormait sous un chêne de temps à autre pour se reposer, près d’une hutte d’un chevrier.

Il attendit le moment opportun pour exécuter son coup et attendit que Saad s’endormit sous le chêne ; il s’approcha lentement comme un chat, visa bien et vida tout son chargeur sur la tête et la poitrine de Saad; ce dernier mourut évidemment sur le coup.

Hassib prit immédiatement la fuite,… Des chevriers et des paysans accoururent aux coups de feu et en moins de dix minutes, les forces de l’ordre étaient aussi là, elles étaient de mèche avec Mourched.

Dès lors, dans le Jurd et toute la montagne, il n’y avait plus de hors la loi: les services de sécurité, avec leurs moyens et techniques actuelles, étaient vigilants et effectifs.

Tuer, n’est pourtant pas une affaire quelconque de l’Etat; elle contrevient à une loi formulée par le Créateur: dans les dix commandements donnés à Moïse au Sinaï ou dans les tablettes sumériennes et Babyloniennes, l’ordre de ne pas tuer y est clair comme le jour : « tu ne tueras pas: tu ne priveras personne de sa vie ! ». La vie, c’est éteinte, cette flamme allumée par le Créateur; tuer, c’est l’opposé à exister.

Saad, durant toute son existence en cavale, n’avait jamais pensé à tuer quelqu’un; ni voulu commettre un meurtre; il fuyait son sort, sa malchance, l’idée de la potence, des obscurités des prisons, de la privation des libertés etc… l’idée elle-même le tuait. Bref, Saad n’est plus. Son père vieux, encore vivant robuste comme un chêne, fit son enterrement à Ghabat. Il demanda de pardonner, d’oublier, de prier… car il savait que la vengeance était héréditaire et était regardée comme un acte de justice.

La dépouille mise sous terre, le père de Saad, meurtri, larmoyant, porta une gerbe de fleurs, qu’il posa sur la tombe; il tenait par la main son dernier fils, né récemment, et que Saad avait peu connu. Le petit Aziz, 4 à 5 ans, observait et était ému; on crut que cette page était tournée et que l’histoire avait pris fin avec les prières et les dernières messes du Seigneur. En réalité le problème était encore à ses débuts dans l’esprit du petit Aziz.

Aziz ne connaîtra jamais l’indulgence; il ne pardonnera jamais avant de s’être vengé de Hassib le meurtrier de son frère. Pour Aziz, Saad était son idéal; c’était une victime des traditions, de son héroïsme. Depuis son enfance, il s’informa à propos de Hassib, sa maison, ses parents, son village; il en avait fait un dossier : le travail de Hassib, ses amis, son horaire etc… Hassib était sa seule passion. Ironie du sort, à peine Aziz eut-il atteint les 15 ans, une triste nouvelle fut annoncée dans la région, la mort de Hassib après plus de trois mois d’agonie…

Aziz en était furieux ; « c’est moi qui devais lui administrer la mort et non la maladie… ». Il savait, cependant que celui qui avait poussé Hassib au crime était Mourched Imad, son oncle. Bien ! se dit-il, il déchira tout le dossier de Hassib pour en faire un autre sur Mourched toujours très régulier, sa tournée quotidienne, sa maison, ses amis; il se demandait s’il fallait l’abattre devant sa maison ? ou l’attendre dans un tournant, à son passage, sur la selle de sa jument fier comme un coq.

Aziz examinait tous les jours un colt qu’il avait recueilli chez son frère à la maison paternelle. Il examinait toujours son arme la graissait, afin qu’elle fût au point le jour J. Il se dirigea un samedi dans sa région de Ghabat et marcha dans la forêt ayant placé une cible à 10 mètres, 15 mètres, 20 mètres, il se mit à viser juste ; Aziz serait un futur tireur d’élite ; il était sûr de lui-même de viser Mourched et de le descendre comme un oiseau. A l’école qu’il fréquentait, il était souvent dans un autre monde, souvent absent.

Il était de plus en plus certain que l’investigateur qui poussa et paya Hassib pour son crime était Mourched son oncle. Mourched devra payer très cher, sa vie. Tous les jours, Aziz longeait la route qu’empruntait Mourched le cerveau de tout ce qui s’était passé.

Lors de l’enterrement de Hassib, c’était Mourched qui avait reçu les condoléances: une grande foule y était présente. Aziz s’était faufilé parmi la foule, Aziz à 15 ans paraissait comme un garçon de 18, un corps d’adulte. Sous sa jaquette, son revolver; il voulait passer toujours inaperçu; les gens se mettaient en rang pour présenter les condoléances aux parents du défunt; il se mit dans le rang, passa devant Mourched sans attirer l’attention: brandirait-t-il son arme, et achèvera-t-il Mourched ? serait-il maitrisé par la foule ? Les coups de feu, pourraient-ils atteindre un innocent ? fallait-il attendre pour être seul, en face à face avec Mourched ? etc… que de questions passèrent dans la tête du garçon de 15 ans. Ce serait donc pour la fin de semaine. On était un mercredi; il décida de s’absenter de l’école à partir de jeudi et d’attendre, non loin de l’école des Apôtres, Mourched.

– Jeudi – il passa toute la journée en va et vient portant son tablier noir d’écolier ; ce jour là, Mourched n’avait pas donné signe de vie.

– Vendredi – Aziz se dirigea se promener dans les ruelles autour du collège ; son père ne s’était pas rendu compte que Aziz s’absentait de l’école.

– Samedi – « C’est une journée consacrée à Marie; je ne donnerai pas l’honneur à Mourched de mourir un samedi ».

– Dimanche – ce fut une journée de pluie torrentielle, toute la journée.

– Lundi – un beau soleil; le temps était merveilleux; la terre boueuse se desséchait. Aziz n’alla pas non plus à l’école.

– Mardi – le temps était beau, le soleil lumineux. Aziz mit son tablier noir cachant son revolver et alla errer dans les ruelles autour des écoles où devait sûrement passer Mourched; il était presque midi; voilà que Mourched pointe sur sa jument plus fier que Napoléon à Austerlitz.

Aziz s’assit sur une pierre et prépara son arme; il paraissait inaperçu. Mourched s’avança tout droit en galopant et, dès qu’il approcha d’une dizaine de mètres de Aziz, celui-ci, comme une panthère sauta, criant et déchargea un coup qui atteignit Mourched en pleine figure ; « c’est de la part de Saad » ; et il continua à tirer, la poitrine, le cœur, le cou et il visait juste. Les derniers mots de Mourched furent: « Bass ! Ya walad », « arrête, enfant », et il tomba du haut de sa jument, qui le traîna apeurée une cinquantaine de mètres.

Aziz prit la fuite à travers les jardins, les sentiers, pour atteindre la vallée menant à Bkerké, le Patriarcat ; de là, il traversa la vallée du Nahr al kalb, en direction de Jeita qu’il atteignit le lendemain, toujours sans une minute de repos ; il marchait sur la route quand voyant un camion qui roulait en direction de Faraya, il l’arrêta ; le chauffeur lui accorda de monter ; Aziz lui raconta qu’on lui avait trouvé un travail à Faraya, dans une boulangerie et qu’il s’y dirigeait pour voir si cela lui convenait. Le conducteur du camion lui proposa en cas où on ne l’engagerait pas : « je peux t’emporter à Baalbek – Héliopolis d’où je viens. J’ai une cargaison de foin pour les vaches. Je resterai à Faraya environ deux heures ou trois; tu verras mon camion, je t’emmènerai avec moi ». Le conducteur voyait que Aziz était éveillé, fort, dynamique et ayant lui-même un magasin tenu par sa femme et ses enfants, une boucherie, et un magasin où il vendait des fruits et légumes et produits alimentaires.

Sa proposition tombait du ciel. Aziz répondit qu’il était intéressé par cette proposition en cas où il ne se mettrait pas d’accord avec son boulanger.

En réalité, il était heureux de partir loin, il avait sur lui sa carte d’identité et quelques piastres. La première chose qu’il fit en descendant du camion, il traversa un champ et dans une vieille muraille, il cacha son revolver et ferma le trou; après quoi il se dirigea acheter du pain, une galette, il avait très faim, il se désaltéra buvant de l’eau froide d’un ruisseau et se dirigea en direction du camion, disant qu’il devait attendre encore deux ou trois semaines; il ajouta qu’il était tenté de travailler à Baalbeck qu’il connaissait de nom seulement.

Vers cinq heures du soir ils arrivèrent à Heliopolis; son nouveau patron lui demanda de se reposer dans un coin dans l’arrière boutique. Son travail consistait dans la matinée à faire paitre les quelques moutons et chèvres destinés à la boucherie; ensuite d’aider dans la boucherie; et le magasin, de nettoyer et de se comporter comme s’il était de la maison: il serait logé et nourri et recevrait 2 livres par jour. Aziz n’avait pas contacté ses parents et quand son patron lui demandait de leurs nouvelles, il lui disait qu’il pensait partir dans un mois les voir; ce fut fait après deux ou trois mois: il prit congé disant à ses maîtres qu’il s’absentait trois jours pour voir ses parents et les inviter à venir visiter Baalbeck ; un jour, il prit l’autobus qui l’amena à Zahlé ; il s’acheta des friandises, des sandwiches ; il passa près du couvent St. Antoine; il entra dans l’église où il passa plus de deux heures à prier, à pleurer en silence, à demander pardon. Pourquoi pas, le repentir se trouve chez les chrétiens et Dieu pardonne. Un curé le vit dans l’église; il était 4h ou 5h de l’après midi ; Aziz lui demanda : « Père je suis de Kesrouan; je ne pourrai plus arriver la nuit seul; je peux payer une nuitée; je vous prie de me recommander ou de m’indiquer une auberge. Le brave curé, plein de bonté répondit à Aziz qu’il pouvait le recevoir dormir au couvent avec le personnel en place. Les yeux de Aziz larmoyaient.

Aziz, plein de naïveté demanda au curé de le confesser; il se mit à genoux et raconta toute son histoire au Père; ce dernier invita Aziz à diner avec eux et lui demanda de le considérer comme un ami, qu’il pouvait passer le temps qu’il désirait chez eux au couvent et qu’il pourrait revenir le jour qu’il voudrait.

Le quatrième jour, Aziz rentra chez ses patrons à Héliopolis. Une année s’écoula. Entretemps, les forces de l’ordre cherchaient très activement ce jeune mineur de quinze ans.
La Providence voulut qu’un jour le chef de la sécurité dans la Bekaa, ami du curé, lui avoua qu’il cherchait très énergiquement un garçon assassin, que son nom, sa description, photos avaient été communiqués à tous les postes frontaliers, polices, détectives etc…

Le curé ne dit rien; une fois, son interlocuteur parti, le curé commanda un taxi pour se rendre à Baalbeck – Zahlé est à chemin entre Beyrouth et Héliopolis; en une heure de temps, le curé était devant la boucherie; il appela Aziz, le prit de côté et lui raconta que la police était à ses trousses, qu’il devait disparaitre ; il lui donna l’adresse d’un ami à Damas en Syrie et une lettre pour le recommander ; il dit à ses patrons que Aziz devait s’absenter pour un ou deux mois.

Le même soir, Aziz se dirigea de Baalbeck vers la frontière syrienne, rencontra des contrebandiers qu’il avait connus dans le magasin et qui faisaient passer des marchandises en contrebande sans payer les douanes. Le lendemain Aziz était à Damas, à Bab Touma, chez les amis du curé, des artisans qui fabriquaient de petits cadeaux vendus en souvenirs. La région est un lieu touristique. Aziz était dans l’atelier ; il ne voyait personne. Il passa presque une année à Damas. Le curé le contactait et avait chargé des avocats d’étudier le cas de Aziz afin d’alléger les jugements qui seraient prononcés contre Aziz.

Pour la plus grande majorité des Libanais, l’Etat n’existe pas: c’est inconscient; ils croient toujours que l’Etat, ce sont les séquelles des Ottomans, c’est-à-dire l’injustice, et chacun doit requérir ses droits par ses propres moyens. Aziz avait plus de 17 ans; il était mûr, sérieux; depuis trois ans ou presque, il n’avait vu aucun des siens. Le curé avait été à Jounieh les rassurer. Aziz reçut un coup de téléphone; un ordre du curé qu’il aimait lui demandait de se livrer à la justice à la frontière et que justice serait faite: « Je vais t’aider à sauver ta vie ».

Chose réalisée.
Aziz fut menotté devant des tribunaux; il fut condamné à travaux à perpétuité, ramenés à trente ans de prison comme mineur et, pour bonne conduite, à 25 ans de prison effective.

Pleurs, tristesse, cris etc…
Aziz put voir ses parents; il était visité en permanence et tous les mois, le curé passait le voir. Changement de Régime, nouveau Président; le curé mit tout son poids, amis, connaissances, pouvoir … La peine fût réduite à 11 ans de prison. Il atteignit la trentaine maintenant ; il se livra au travail, devint un modèle de bonne conduite…

Aziz à 45 ans s’est marié.
Le premier né, fut un garçon qu’il nomma Saad.

Saad junior fut un garagiste, qui se spécialisa dans les voitures françaises Peugeot, Renault, etc…

Son atelier se trouvait sur mon chemin dans la vallée de Eddé. Comment je l’ai connu ? J’étais avec des amis visitant la citadelle de Byblos; en quittant le parking, la voiture ne démarrait pas; un gardien me donna un numéro de téléphone; après trois ou quatre minutes, un certain Saad, un homme svelte, solide bel homme, souriant, arrive; il met la voiture en marche et me demande de passer au garage; j’ai salué mes amis qui m’accompagnaient et qui voulaient rentrer à Beyrouth… J’ai passé plus de 25 ans comme client dans son atelier de réparation et révision; on sympathisait; il me dit que sa maison était à Jounieh, qu’il avait deux filles, que son épouse était musicienne, qu’elle dirigeait une « académie d’enseignement musical »; il venait chez moi prendre la voiture et la remettre. M’invitant prendre un verre chez lui, il me raconta que son père avait tué Mourched Imad à Jounieh dans les années 50 etc… Je lui ai dit que je me souvenais de ce fait comme s’il était d’hier; il me racontait quel héros était son oncle… Tous les éléments de ce récit, leur source, est Saad en 2012. Un jour, je passe par le garage; il était fermé; un faire-part été collé au mur… Il me raconta que son père était mort auparavant deux jours. On s’est rappelé toutes les aventures de Saad et de Aziz, j’en ai résumé trop peu de choses, car son père Aziz avait erré dans d’autres villages avant d’atteindre Damas et de se livrer devant les tribunaux, le sort de cette honnête famille dont les membres à deux reprises avaient été obligés de tuer, sans le vouloir. Actuellement, des peuples sont massacrés, des génocides, des massacres par milliers comme si de rien n’était. Il n’est plus nécessaire de fuir dans les savanes, les forêts… Les labyrinthes des villes peuvent cacher tous les malfaiteurs; mais pour eux, oui, il faut dire avec Victor Hugo « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».

Joseph Matar
Tous droits réservés pour tous pays
© Copyright LebanonArt