Mtanios et la vocation

Un petit village au Nord-est de Jounieh, sur une colline d’où l’on peut admirer la baie merveilleuse.

Un certain « maître Hanna » maître en menuiserie vivait là avec son épouse et ses quatre enfants.

Les enfants allaient à l’école toute proche et aidaient leur père pendant leurs vacances.

Tout travail est sacro-saint quelque soit le lieu. Le plus jeune garçon de cette famille s’appelait Mtanios.

Jeune homme bien bâti, serviable, aimable, communicatif, studieux, obéissant, un être exemplaire pour tout le voisinage.

Il était aussi, malgré son peu d’expérience, la main droite de son père ; élève studieux, mais aussi technicien et artisan très minutieux : il achevait correctement et proprement toute commande. Son père ne se faisait pas de souci ; il pouvait compter sur quelqu’un de compétent et de persévérant.

Ainsi entre l’école et la menuiserie, Mtanios dépensait une partie de son énergie; son autre moi ou ce qui en restait était emporté par des rêves, des égos chercheurs, des écoutes qui viennent de loin, d’autres mondes ou d’autres cieux. L’atelier, l’école, l’église, la maison, les amis ; les écoutes de voix célestes le faisaient rêver. Les parents braves gens, étaient pieux, on priait ensemble, il faisait l’enfant de chœur. Il n’entendait pas seulement des voix célestes : il voyait la Sainte Face de Dieu surgir de partout : dans les profonds nuages du ciel dans les nuits obscures ; Elle illuminait son univers, dans la menuiserie, à l’école, à l’église… Elle faisait partie de lui-même. Dans les doux regards de sa pieuse et fidèle maman, dans le soleil levant etc…

A l’école ses copains étaient fiers de l’approcher, de gagner son amitié… En 1935 Mtanios approchait de ses quinze ans.

Il avait une petite voisine, Manon, qui pouvait avoir onze ans… Ils avaient passé leur enfance ensemble, partageant études jeux, nourriture et intimité : Manon, doucette paisible, souriante, dévouée voyait en Mtanios un autre frère.

Une autre voisine Noha fréquentait la même école et aurait douze ou treize ans. Elle était, elle, une petite jalouse, intrigante, égoïste, gâtée ; Tout lui était permis, frivole et effrontée.

L’école est un lieu de « mélange » : tout le monde y est, se connait, s’entraide, et dans un bourg comme celui-là, l’école était aussi une grande famille, on était chez soi.

Parmi tous ces jeunes qui se connaissaient donc, échangeaient, se comprenaient, s’entraidaient, un seul semblait vivre ailleurs ; lui seul était conscient de cette situation, car c’était une affaire personnelle. Une lame de fond qui n’épargnait rien, quand elle se met à sourdre et bientôt elle emportera tout.

Un vent bienfaisant qui souffle en l’âme et auquel on ne peut résister, des lumières fascinantes nous inondent, des voix silencieuses dont la musicalité enivre les âmes, un agréable dessaisissement qui nous aspire et nous ouvre d’autres horizons… Un amour élevé qui s’empare de tout l’être, bouleverse nos émotions…

Un appel qui vous déracine ailleurs, un poème symphonique qui vous ouvre l’immortalité, l’éternelle jeunesse…

Un monde irisé, d’arc en ciel, de couleurs féeriques, de jardins d’Eden, des ballades de chérubins, des sources de nectar, des pluies de roses, de parfums de sainteté en un mot une vocation à autre chose, à une vie autre.

Les appelés sont nombreux, mais très peu les élus, a dit le Seigneur, et « la moisson est grande mais peu les moissonneurs ».

Tout cela se passait dans les profondeurs de l’âme de Mtanios…

De plus, la vision de notre Seigneur était présente en permanence dans ses visions, dans ses évasions.

En résumé, voilà l’univers où se déployait, progressait, se développait Mtanios.

Lorsqu’il eut atteint le secondaire et bientôt l’université, les nouvelles relations et la nouvelle vie, se profilaient à son horizon.

Or, il avait entre les mains deux livres de St. Jean de la Croix, le grand poète mystique et réformateur espagnol du 16ème, siècle :

Le cantique spirituel … et un autre ouvrage sur cet autre grand mystique, stigmatisé et fondateur d’un grand ordre : Saint François d’Assise.

Mtanios ne désirait cependant pas devenir un moine ermite vivant dans un ordre régulier, il désirait être un prêtre de plein vent affrontant dans son milieu social, les difficultés de tous les jours et y apportant des solutions.

Il s’était ouvert à sa mère et à son père de ses aspirations. Ils en étaient heureux, quoique le père allait en souffrir : diriger seul la menuiserie, quelle besogne, lui qui vieillissait et se fatiguait.

De son côté Manon grandissait, Noha aussi. Les deux filles avaient de l’amour et des ambitions et étaient attirées par Mtanios, leur ami et compagnon.

Ils se rencontraient à trois et quelquefois à deux dans leur intimité. Mtanios avait expliqué à ses deux voisines qu’il avait une mission et qu’il devait écouter la voix divine qui l’appelait et « si vous êtes de vraies amies, je vous prie de prier pour moi ; ainsi vous pouvez m’aider et préparer notre avenir dans l’éternité, le paradis.

Ces paroles émouvaient le noble cœur de Manon ; elle comprenait Mtanios à merveille et respectait sa mission ; elle lui disait qu’elle serait toujours près de sa mère et de sa famille, elle espérait qu’en se réfugiant dans les prières elle gagnerait, le paradis, et que, même s’ils se séparaient, elle garderait de lui les meilleurs souvenirs…

Mais Noha, elle, trouvait en Mtanios un défi de refuser l’échange de son amour ; elle le suppliait ; on créerait une famille ensemble ; l’amour est un acte humain « tu peux vivre en sainteté même si tu m’épouses… tu as peur d’affronter la vie ? tu te réfugies dans les séminaires, les couvents, tu ne sens pas ma chaleureuse présence je suis près de toi, tu joues l’indifférent, je suis certaine que tu vis une crise passagère, tu tomberas un jour entre les bras d’une inconnue, qui abusera de toi, moi je t’aime sincèrement. Je désire être à tes côtés… ». Mutisme total de la part de Mtanios qui pensait à la tentation de Jésus, à saint Jean de la Croix à tous les anciens saints du Liban dont il était fier ; il avait pitié de Noha ; Il souriait légèrement sans lever les yeux ; il refusait de discuter une affaire si personnelle et si intime. Le visage de notre Seigneur était toujours devant ses yeux ; il n’entendait plus les voix humaines ; il était dans cet autre monde céleste. Sa maman, un jour l’appela pour venir dîner avec elle, elle disait : « invite Noha à partager ce repas ». Il n’entendait rien à leurs propos, il était dans son état d’extase que je ne peux décrire… Noha les quitta, triste, gardant une certaine rancune, et même une profonde colère contre Mtanios.
Par contre, Manon passait de longs moments devant le Saint Sacrement, priant Jésus d’aider Mtanios et si le Tout puissant me demandait de le servir et de l’aimer, je le ferais courageusement.

Celui qui devait souffrir là profondément c’était le père ; car son fils portait une grande partie du fardeau, dans la menuiserie ; il devait aider cependant son fils dans sa vocation ; il lui faciliterait tout, car se vouer au Christ est une chose très sublime, aux yeux du père… on dira dans toute la région : « C’est le Père Mtanios, le fils de Hanna ! ». « Quelle gloire ! ».

Le jeune homme était bien décidé à abandonner tout ; même son nom ; il avait à choisir entre St. Jean et St. François, mais son père s’appelait « Hanna-Jean. Alors il serait « le père François », celui qui, d’Assise avait révolutionné le Christianisme, la civilisation. Moine ou prêtre séculier, il devait passer par le séminaire, préparer les études théologiques, philosophiques etc…

Là, il y passa plus de cinq ans.

Une vie toute de méditation, tel un ermite, durant ces cinq ans, il ne visita ses parents que cinq fois ; il rencontrait Manon près de sa mère ; il ne levait pas les yeux ; tout ce qu’il voyait c’était le visage de la Sainte Face.

Noha, elle, égoïste comme elle était, avait trouvé un mari d’un certain âge, richissime qu’elle utilisait comme son esclave.

Dans son cœur, il n’y avait pas de place pour l’amour ; elle eut trois enfants : une fille et deux garçons. Vint le jour de l’ordination, du jeune prêtre, dans l’église du village. Tout le village était présent, car Père François avait beaucoup de crédibilité ; tout le monde l’aimait… sauf Noha qui lui en voulait. Une fête lui fut réservée le jour de sa première messe là où une annexe avait été aménagée pour sa résidence. Il annonça entre autre qu’il ne recevait personne en dehors de ces lieux: le confessionnel, l’église ou le salon de l’église. Il avait choisi d’être près de tous ses paroissiens. Il organisa son temps, ses programmes, ses sorties où il devait passer en tournée, dans tout le village, visiter les malades, les vieux, suivre les jeunes dans leurs relations, formations, leurs devoirs religieux ; il devait conférer, conseiller, aider, etc… et vivre sa vie avec le Christ; les nuits, il ne dormait presque pas ; et passait même des nuits blanches car la prière n’était pas pour lui un devoir, mais une nécessité vitale, telle la nourriture, l’air qu’il respirait, être près des malades, des agonisants et régler aimablement tous les problèmes…

Il refusa d’avoir une voiture ; il se déplaçait à pied, prenait un seul repas par jour ; jamais de viande ; se privait des douceurs ; la Ste Face de Jésus l’accompagnait. Les dimanches et jours fériés, il prêchait ; les gens venaient nombreux l’écoutaient. Manon qui entre temps, s’était mariée, venait avec toute sa famille écouter et prier. Noha venait aussi mais pour la parade ; elle ne pardonna jamais, elle croyait que Père François, jadis Mtanios l’avait blessée dans sa fierté…

Elle attendait même le moment opportun de se venger de cet ex-voisin orgueilleux sans pitié.

Elle ne voulut pas participer à son aménagement, elle, Noha toute puissante maintenant. Le pardon, les saints, le Christ, le paradis… n’avaient en elle aucune présence ; la justice, c’est elle qui l’appliquerait à sa manière, malgré les nombreuses années passées depuis la dernière rencontre qu’elle avait eue avec Mtanios. Son époux était, décédé, lui laissant une grande fortune ; elle imposa sa volonté et ses ambitions à tout son entourage. J’étais moi-même très proche des deux familles du curé et de tout le village… J’avais toujours cru que cette affaire était classée depuis très longtemps ; sur le terrain, oui ; mais dans le cœur de Noha non ; elle était toujours sur un feu vif.

Mtanios lui avait refusé son amour ; et l’avait comme obligée à épouser quelqu’un qu’elle n’avait jamais aimé ; elle était jalouse de Manon et de ses autres amies du village.

Or Manon avait une fille à l’école normale, Grèce, belle comme sa mère, simple, compréhensive à qui je disais souvent : « Grèce, tu portes le nom d’un pays historique ; salue ta maman »…

Noha, elle avait un fils, Pierre à l’école des Beaux-Arts poursuivant la carrière d’architecte ; il était aussi l’un de mes élèves, jeune vif, dynamique, naturel, n’avait rien du snobisme de sa maman ; à Pierre aussi je disais : « Pierre salue ta chère maman Noha ».

Grèce et Pierre étaient des amis et participaient à toutes les activités du village patronnées par Père François. Une idylle était née entre Grèce et Pierre, ce qui déplaisait à Mme Noha ; elle désirait voir son fils s’unir à une richissime fille, ce qui n’était pas le cas. Elle ne pouvait pas intervenir ni déconseiller Pierre. Elle pensa alors comment atteindre deux oiseaux d’un seul coup ; le problème qui l’occupait : les deux oiseaux, c’étaient Grèce et Père François. Elle se mit à l’action. Réussirait-elle ?

Que faisait-elle comme travail ? elle qui n’avait aucun besoin, ni nécessité de travailler.

Je l’avais rencontrée plus d’une fois à Paris.

J’avais su de ses proches qu’elle faisait la contrebande avec les bijoux et les vêtements signés, elle rentrait à l’aéroport de Beyrouth ayant sur elle habits, colliers, bracelets, montres, etc… qu’elle vendait le même jour à ses agents et voyageait deux jours après pour Londres, Rome, la Suisse et ailleurs et partout elle pratiquait la contrebande. A Paris, je lui avais dit: « Mais, Noha, comment acceptes-tu et oses-tu faire un pareil travail ? malhonnête et hors la loi ? ».

Pour elle ce qui comptait, c’était de gagner de plus en plus et se constituer une fortune fabuleuse.

Elle m’invitait souvent à venir la visiter dans le banlieue de Beyrouth à Hazmieh. Je n’y ai jamais été. Elle arriva un jour chez moi accompagnée de sa fille et choisit quatre de mes aquarelles ; elle m’en paya deux ; et pour les deux autres elle me dit : « Passe chez nous ; si je suis absente, je te garde un chèque à la maison… ».

Ainsi, elle utilisait son argent sale, et c’était son travail de tous les jours.

Or voilà qu’un jour, Grèce était chez eux, c’est-à-dire chez son ami Pierre ; Nohra enleva sa bague la plaça au bout d’une table, laissant Grèce l’observer comme si elle lui disait, « Voilà ton appât et bientôt je ne te verrai plus ».

Le soir même, elle reprit la bague, la cacha chez elle, puis demanda deux ou trois jours après : « Est-ce que quelqu’un a trouvé ma bague ? ». Pierre de répondre : « Je t’ai vue la placer au bout de la table, il y a deux jours ». « Oui, c’est vrai, tu étais avec Grèce au salon ; mais la bague a disparu, laissant entendre : « vous en êtes les responsables », l’accusant avec Grèce : « y avait-il quelqu’un d’autre que vous au salon ? » elle sema ainsi le doute dans l’esprit de Pierre ; Grèce devint folle en apprenant les détails de cet évènement.

La police inspecta, questionna Grèce, l’arrêta, puis la libéra sous caution et Noha de dire à son fils Pierre : « c’est une voleuse ton amie, comment admettras-tu cela ? Je ne désire plus la voir ». Leurs relations furent ainsi rompues, tout le voisinage en parla ; les uns croyaient, d’autres pas etc… Comment faire pour viser le second oiseau ? Le premier avait été atteint.

Elle avait un jardinier syrien qui s’habillait souvent en « abaya » noir, sale, pas très neuve qui ressemblait à une soutane ; elle demanda à ce syrien de monter dans sa voiture pour un service de quelques minutes, il obéit et se plaça à l’arrière ; dans une rue proche ; elle ordonna à l’ouvrier : « prends ce paquet, remets-le à la personne en face » dans cette bijouterie ; elle te donnera une enveloppe ». Ce fut fait, tout avait réussi et c’était bien orchestré. Le bijoutier était d’accord et complice de Noha. Quatre mois après, la bague fut exposée dans une vitrine de la bijouterie, bien exposée, mise en relief pour être bien vue ; elle était destinée à la vente: Elle avait manœuvré d’avance qui l’acquerrait. L’acheteur, fut Noha qui acheta sa bague jadis volée. Le bijoutier complice déclara qu’il l’avait achetée d’un certain prêtre, un peu maigre, portant une vieille soutane etc… c’était déjà suffisant pour que Noha dénonce l’ami de Manon le Père François ; elle était heureuse de retrouver sa bague volée, elle ne porta pas plainte contre le Père François et autres mensonges. Noha voulait se montrer généreuse, tolérante, compréhensive etc… ne demandait rien, elle pardonnait, c’est Dieu qui pardonne, elle croyait qu’elle avait atteint son but, visant la famille de Manon et le Père François, l’ex-Mtanios, l’ami de l’école et de l’enfance ; elle crut qu’elle avait fait preuve de noblesse et de grandeur etc… en réalité elle avait semé la calomnie d’un côté, blessant la réputation et l’honneur du Saint prêtre ; le scandale qu’elle déclencha se répandit rapidement dans la région ; elle put satisfaire sa haine, sa rancune, sa vengeance, elle qui avait toujours été avide de méchanceté.

Au village, et dans la paroisse peu de gens crurent à cette histoire falsifiée.

Les paroissiens augmentèrent leur attachement et leur amour à leur curé.

Le même soleil se levait tous les matins éclairant tous les cœurs, celui du Père François aussi l’aidant dans sa profonde souffrance, il ne dormait plus les nuits ; à genoux, il priait le Seigneur et la Vierge, leur demandait de pardonner à Noha et à ses geôliers, tel le Seigneur crucifié du haut de sa croix, pardonna à ses « cruxificateurs » et que même si je suis humilié déshonoré, calomnié, ma souffrance est minime par rapport à celle du Créateur, le tout puissant, et Job a beaucoup plus souffert dans son âme et ses biens, que Moi le Père François; je ne possède rien d’autre que l’amour et la crédibilité de ma paroisse.

« Vous m’avez choisi pour vous servir, je le ferai et je resterai fidèle à ma vocation jusqu’au bout ».

Quant à Maître Hanna, ce brave père de famille, ce menuisier honnête, il était décédé ; son épouse trop vieille n’assimilait pas ce qui se déroulait, Manon, était intriguée, elle était convaincue que tout avait été tramé et orchestré par Noha ; elle passait des heures à l’église priant, et voulant être à côté du Père François.

Grèce fut très déçue par l’attitude de Pierre. Ce dernier voyagea en France où Noha voulut l’insérer à l’Université, loin de Paris; il fut admis à Lyon où Noha lui loua un petit studio…

Moi-même qui étais un témoin vivant toujours et très près du Père, des deux familles et de la paroisse, j’étais toujours à côté du Père, de mes élèves de Manon, de Grèce, encourageant cette dernière à se déployer dans ses études et que l’avenir allait lui sourire. Manon me disait « que tout était monté » ; Je n’avais aucun doute que Père François était le plus Saint, le plus honnête, lui qui vivait dans la pauvreté, se privant même de nourriture etc… C’est le démon habitant l’âme de Noha qui agissait, femme sans cœur, égoïste, méchante, pleine de haine. Rencontrant cette Noha dans une soirée (exposition) je lui posai dans la conversation quelques questions ? « Es-tu satisfaite de ce qui se passe ? Sais-tu que tu es l’être le plus haï de la paroisse ? je devine que tout a été monté par toi ; tu manques d’amour, de pardon etc… et de me répondre : « J’ai pardonné ; je n’ai rien réclamé. Oui, “mais tu as semé le doute, le poison de tous côtés”.

Puis dans la paroisse tout a repris son rythme.

La tournée annuelle à l’Epiphanie du Père François, les cours de catéchèses, les activités et soirées de prières, les sorties et pèlerinages vers Annaya, Harissa, Kfifane, les Cèdres, Zahlé etc…

Les journées de retraite et de méditation dans des couvents vides et un peu retirés. Notre Dame des champs, Ghosta, Tannourine, Reyfoun etc… des Kermesses et des feux de camp furent organisés, rien ne pouvait calmer l’ardeur du Père François ; il était comme cette flamme, vivant, aimable, actif, chaste, exemplaire etc…

Pierre n’a même pas écrit une lettre de Lyon, il n’osait pas revenir au Liban sans le consentement de sa mère Noha…

Manon, Grèce, et toute la famille s’étaient réintégrés dans ce rythme quotidien.

Le Père François se réfugiant de plus en plus dans la prière et la méditation, le jeûne, les sacrifices…

Noha continuait ses va et vient, et sa contrebande de luxe, jusqu’au jour où elle fut repérée par les autorités ; son nom se trouva partout, aéroport de Paris, Rome, Londres, Madrid… Elle était surveillée et contrôlée de près… Pressentant cela, elle arrêta toutes ses activités ; d’ailleurs en passant les douanes, elle était fouillée, ses bagages, ses habits etc… elle put échapper à l’arrestation … elle s’est vue recluse et mise de côté, elle n’avait plus d’amies dans son voisinage; elle avait des employés, des gens intéressés, elle ne conduisait pas sa voiture, elle était accompagnée par un chauffeur. Elle sentait que le jugement de Dieu serait un jour, bien dur pour elle ; entre humains, elle pouvait grâce à ses intrigues être dans la façade ; mais elle pensa que devant Dieu les êtres seront tous à pied d’égalité; elle était consciente qu’elle avait nui au curé son ex-compagnon de classe.

Manon son amie d’enfance ne la visitait jamais, Pierre téléphonait de moins en moins ; il n’aimait plus rentrer au village ; il sentait qu’il avait été lâche envers Grèce ; Grèce s’est mariée. Manon était toujours au service de la paroisse, des enfants de Marie, toujours près du curé.

Noha voulait à tout prix se réintégrer dans son milieu, mais sa fierté et son orgueil étaient un rempart, elle voulait demander pardon au Père François pour réparer tout le tort qu’elle avait causé.

De temps à autre, je lui rendais visite quand elle téléphonait me suppliant de passer la voir ; sa fille s’est mariée ; son second fils a voyagé étudier en France ; elle est restée dans une solitude totale, sa vie est devenue vide.

Père François, voyant l’état de Noha, décida d’agir en vrai chrétien et fidèle à sa vocation ; il frappa à la porte de Noha, un samedi matin sans être annoncé, c’était vers 10h – 11h. Noha venait de se réveiller quand on lui annonça la venue du Père François; elle sentit qu’elle était petite, rien, nulle, les larmes jaillissaient de ses yeux, telle une femme ivre, elle courut au salon, se jeta sur les pieds du Père François pleurant sans prononcer une parole…

Le Révérend et saint Père la releva, toujours silencieux, la Ste Face du Seigneur devant ses yeux, tel un muet qui parle la première fois ; il prononça : « C’est moi qui demande pardon au Seigneur, ne crois pas que je t’ai ignorée, je prie tous les jours pour toi et tes semblables ; que Dieu nous pardonne à nous tous … ». Elle avoua ses intrigues et sa calomnie; elle était prête à tout faire pour réparer, qu’elle mettait tout ce qu’elle possédait au service de la paroisse et du Père François. Elle était malade de tout cela.

Le Père François a suivi de près tous les évènements où des saints du Liban ont été proclamés devant toute l’humanité.

St Charbel durant les années cinquante, Ste Rafca, St. Neamtallah etc… et les dizaines d’autres qui attendaient les signes du Seigneur pour être manifesté, ce sont des découvertes, des lumières qui jaillissent de l’obscurité, des phares lumineux pour éclairer la planète entière.

Et un jour je reçus un faire-part annonçant le décès du Saint Prêtre. Je voyais les anges emporter son âme, et lui, rencontrer enfin la Sainte Face du Seigneur qui l’avait toujours accompagné.

Joseph Matar
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